Complément d'humeur

Vivre me prend tout mon temps

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jeudi 29 avril 2004

Traverse des 400 couverts

Grenoble, c'est grand, c'est rond, c'est bien. Enfin... c'est dans une cuvette, et régulièrement on voit les montagnes dans l'alignement des rues. C'est plein de squatteureuses - la seule ville de France où on ne peut pas se promener dix minutes sans en croiser, faut dire que le FRAKA et la fin de la trêve d'hiver ont amené ici des gens de Nantes, Lilles, Barcelone, Dijon, Besançon, enfin bref de partout. Et surtout, c'est bel et bien à l'heure actuelle LA ville des squats, avec un mouvement très fort et vivant.

Pour l'instant, je n'ai vu que les 400 couverts : une traverse en centre-ville, intégralement squattée - comme une ville dans la ville, où les gens vivent autrement. Elle comporte le Chapitônom, superbe salle de spectacles, le 9 qui sert de salle de danse, le 8 bis et le 10 qui sont des habitations collectives... le tout superbement décoré par des matériaux de récup, peint, carrellé de mille couleurs, fleuri, parsemé de petites lumières le soir. Une rue autogérée, qui n'est pas sans rappeller les quartiers autogérés de l'Italie des années 70...

Je compte aussi visiter la Loupiote, mais je vous en parlerai à ce moment-là.

Et enfin, il y a la Flibustière, squat de femmes non-mixte - je vais leur rendre visite bientôt, parce que ce choix me semble très interessant. Vivre entre femmes, c'est ne plus être dépendante des hommes pour les travaux et les tâches de force, c'est ne pas subir leur tendance à s'affirmer bruyamment pendant les réunions, et aussi ne plus être objet du désir masculin... et ces filles se sont également très bien intégrées dans le quartier, permettant à beaucoup d'autres femmes de se retrouver entre elles. Je ne crois pas que je ferais ce choix de vie, mais il peut avoir beaucoup à m'apprendre.

Qu'ai-je fait durant ce festival? Bel et bien loupé la conférence de Kyior sur les situationnistes, mais récupéré une brochure à ce sujet. Entendu parler de l'"Action Mondiale des Peuples". Dévoré plein de textes féministes, et notamment le SCUM Manifesto de Valerie Solanas, dont voici le premier paragraphe :

Vivre dans cette société, c’est au mieux y mourir d’ennui. Rien dans cette société ne concerne les femmes. Alors, à toutes celles qui ont un brin de civisme, le sens des responsabilités et celui de la rigolade, il ne reste qu’à renverser le gouvernement, en finir avec l’argent, instaurer l’automation à tous les niveaux et supprimer le sexe masculin.

Tout le texte est aussi violent, drôle et juste. A lire absolument...

Sinon, j'ai dormi beaucoup, parlé avec tout le monde, joué et ri, fait des câlins et des tâches collectives, enfin c'est un super festival.

Bon, c'est pas tout ça mais y'a une manif qui commence...

lundi 26 avril 2004

Loose et réunion

Aujourd'hui, loose collective. C'est-à-dire que tout le monde s'est levé tard et que le ménage est passé à la trappe... mais bon, ils en avaient fait un jeudi, et quelques initiatives personnelles permettent que la maison reste habitable.

Hier soir, après avoir blogué, j'ai retrouvé Arf dans le couloir d'entrée et nous avons joué les portiers puisque l'organisation du concert était une fois de plus lamentable - ça m'a permis de voir (et de parler) des aspects négatifs des Tanneries. En plus, c'était un concert qui n'interessait pas du tout les habitants... on est allés se coucher vers 9h ; alors forcément je ne me suis levée qu'à 19h. M'enfin j'ai commencé ma journée par un petit déjeuner pantagruelique, et puis on m'a appellée pour une réunion d'habitants. J'étais surprise mais contente d'y être conviée, vu que je ne suis pas une résidente - mais j'y ai exprimé mon désir potentiel de le devenir, et le tour de table était positif... m'enfin je vais comme prévu faire mon petit "tour des squats", en commençant dès lundi par les squats grenoblois, et puis passer un peu de temps ici en mai, et la décision viendra d'elle-même. J'ai participé aux discussions et décisions concernant les autres points à l'ordre du jour, des travaux (peinture prévue de la cuisine, du couloir...) jusqu'aux récups (aller à la fin du marché récupérer les fruits et légumes jetés par les commerçants car plus assez beaux pour être vendus mais bel et bien consommables, idem dans les poubelles des boulangeries et des supermarchés. Source principale d'alimentation des squats).

Sinon, on m'a gentiment proposé d'utiliser une voiture qui part au FRAKA demain, donc je n'aurai pas à payer le train (mais je risque de rater la conférence sur les situationnistes), je ne suis pas sûre qu'il reste de la place dans les squats pour m'héberger mais je croise les doigts, et puis au pire j'irai frapper chez un ami dont je n'ai pas le numéro mais qui m'accueillera sans doute pour dormir. Enfin j'aviserai.

Ce soir, Berzen s'est fait harceler de questions sur le piercing - et la discussion m'a fait frémir, parce que j'ai du mal avec l'idée d'auto-mutilation, même choisie, même bénigne, et même à des fins esthétiques... après deux courageux ont sorti leurs vélos pour aller coller des affiches annonçant le passage de la caravane Sortir du Nucléaire, qui passera à Dijon jeudi.

Et bien sûr, comme les squatteurs ne sont pas très appréciés des forces de l'ordre, ils font attention à l'anonymat, et je viens d'avoir une discussion fort amusante afin de trouver des surnoms me permettant de parler d'eux ici... mes posts risquent de déborder de noms farfelus d'ici peu !

Enfin voilà. Et vous savez quoi? Je suis heureuse. Plein de gens me manquent, je ne sais pas où je dormirai ce soir et je commence à avoir les doigts gelés, parce qu'il fait froid dans la salle machines, et pourtant ça faisait longtemps que je ne m'étais pas sentie aussi bien.

dimanche 25 avril 2004

Nomade

Ce fut dur. Mais j'ai fermé la porte, après une longue semaine à traîner, à finir mes préparatifs : passer chercher mon solde de tout compte, acheter un sac à dos de vadrouilleuse et un sac de couchage supportant les températures négatives (les squats sont rarement chauffés), finir de dispatcher mes affaires...

Je suis donc aux Tanneries depuis vendredi. Mon arrivée fut d'ailleurs hilarante, puisque ma voisine de train me proposa de me servir de taxi et que... son conducteur de mari s'avéra être l'adjoint au maire - celui-là même avec lequel fut négocié le "bail" autorisant à occuper le lieu ! Je vous laisse imaginer la discussion surréaliste pendant le trajet, et l'amusement des habitants du squat découvrant ma capacité à provoquer des coïncidences.

J'ai salué les quelques personnes présentes (la plupart sont parties à Grenoble pour le FRAKA (Festival de Résistances et d'Alternatives au KApitalisme), puis je suis allée faire un tour au jardin où certains polémiquaient au soleil... ensuite, repas (végan, bien sûr), et surtout retrouvailles en paroles avec tous ces gens qui, honnêtement, m'avaient manqué. Tard, j'ai accepté l'invitation rituelle ("Tu dors dans quel lit, mademoiselle?") et nous sommes allés nous réchauffer dans la "chambre nomade" - ainsi nommée car ses occupants sont souvent sur les routes.

Samedi, lever tardif... vaisselle, puis petit-déjeuner sur les marches de l'entrée, avec cours de polonais. Puis je me suis attaquée au rangement du free-shop (ou zone de gratuité : ceux dont les armoires débordent peuvent venir y déposer ce qu'ils ne portent plus, ceux à qui cela plaît se servent). Apéritif devant la porte en parlant de Christiana avec une danoise charmante - qui m'annonce la "normalisation" prochaine du lieu, malheureusement. Repas avec lecture à haute voix d'un philosophe abscons par Dilo, retour au free-shop, et enfin je me motive pour vous donner des nouvelles.

Bon, c'est pas tout ça mais je vais me coucher, faut que je sois debout pour le ménage collectif demain matin !

mercredi 14 avril 2004

Dépendaison de crémaillère

L'appart est presque vide. Alors va y'avoir une fête, une dernière dans ce lieu qui en a accueilli tant. Sans doute vendredi, mais c'est pas trop sûr... m'enfin vous êtes les bienvenus, passez un coup de fil pour plus de renseignements ou envoyez un mail si vous avez pas mon numéro - on peut faire rentrer plein de gens quand y'a plus de meubles (déjà qu'avant... oui, je pense à l'anniversaire d'Eve et Romain l'année dernière, où j'avais invité 42 personnes).

Je pense à tous les évènements vécus entre ces murs, à la succession de jours ordinaires, à nos petits délires marqués sur le frigo ou dans les toilettes (la collection d'annonces de marabouts va me manquer!), aux gens qui y ont vécu et aux multiples héritages qu'ils laissaient en partant, aux galères de courses et à la vaisselle qui parfois développait son écosystème, au linge que j'ai étendu partout même si ça faisait râler, je pense à cette chambre que je n'ai finalement jamais réussi à imprégner de mon essence, aux voisins qui toléraient nos soirées bruyantes et à ceux qui s'engueulaient ou baisaient pour le profit de nos oreilles, je pense aux oiseaux qui chantaient sous ma fenêtre le matin et aux enfants qui jouent entre les tours, je pense à mon chat qui y est mort, à mon histoire d'amour qui y a pris fin, je pense à toutes les dispositions qu'ont connu les pièces, aux verrous successifs, aux mots doux que je guettais dans la boîte aux lettres, aux parties de tarot interminables, aux étalages de lits dans toutes les pièces pour héberger les amis, à la surprise de trouver la porte fermée, aux longues heures dans la bain à fixer le papier à fleurs, je pense à cette nuit des vacances de Noël qui fut la plus magique de ma vie, à mes passages-éclair pour reprendre du linge propre lorsque je vivais surtout chez mes amoureux, je pense aux séances de coiffage collectif, à cette première nuit avec Lunar où j'ai recommencé à fumer et où nous n'avons même pas pris le temps de déplier le canapé, à mon énervement lorsque j'entendais à travers les minces cloisons ma soeur écouter Avril Lavigne et à ma gratitude lorsqu'elle alait lire dans la cuisine parce que j'avais quelqu'un dans mon lit, je pense à toutes les techniques que j'ai employées pour tenter de réveiller mon petit frère, aux nuits blanches à parler dans la cuisine, à la surprise d'Eyal lorsqu'il m'a vue me promener nue, je pense à ce four qui n'a jamais servi parce qu'on avait pas lu le mode d'emploi, aux pièces résonnantes de ma musique lorsque j'étais seule, à mes premiers matins de boulot où mon frère mettait l'eau à chauffer pour mon thé avant d'aller se coucher suite à une nuit de jeu en réseau...

Je suis un peu triste de n'avoir pas réussi à y vivre la colocation avec Eve et Romain dans de bonnes conditions. Triste d'y avoir tué mon amour pour Jonathan. Heureuse aussi, parce que j'y ai découvert l'amour libre, le blog (un peu plus d'un an maintenant), et beaucoup d'amis surtout.

Oh, et puis... il reste plein de gens sur Paris chez qui je reviendrai squatter, hein!

lundi 12 avril 2004

Couper les attaches...

J'ai déménagé ce week-end. Les parents avaient loué un très grand camion, Eve, Romain et moi avons passé deux jours à faire des cartons, Léa (l'amoureuse de mon frère) et Romain-bis sont venus nous apporter leur soutien moral, Marc héberge mes meubles, ma soeur a hérité de la moitié de ma garde-robe et mes babioles les plus précieuses sont en vacances longue durée en Normandie : ça y est, je n'ai plus de maison. J'ai des endroits où dormir, plein, et des lieux où je me sens bien, mais plus d'appart à moi, avec toute la sécurité et toutes les charges que ça représente. Emballant les cartons, je suis tombée sur un livre qu'on m'avait prêté, de philosophie bouddhiste, dans lequel on parle de "s'affranchir des liens matériels pour atteindre le zen" - j'ai feuilleté et souri, forcément. Doublement, parce que je savais que rendre cet appart serait une libération aussi pour ma soeur, et je suis toujours heureuse lorsqu'elle tourne des pages sur cette période de sa vie. Et puis le déménagement "dans le stress et la bonne humeur" a été l'occasion de plus de complicité pour notre tribu que nous n'en avions eu depuis longtemps.

Maman était contente d'avoir tous ses enfants pour Pâques - pas la fête religieuse, non! Juste celle du chocolat - et le chien s'est réjoui de trouver un oeuf délicieux au milieu des fleurs, on a remonté les meubles et profité de la bonne cuisine, et puis écouté très fort la musique retrouvée au fond des cartons - papa chantait en yaourt et moi très faux, ça faisait longtemps mais c'est inaltérable.

Romain et moi sommes revenus dimanche soir, il a foncé voir Léa et je me suis précipitée chez Lunar, que je n'avais pas vu depuis une semaine - et nous avons savouré nos retrouvailles, dans son lit, dans un pub et re-dans son lit. Joie de retrouver son enthousiasme débordant, ses lèvres suaves, apaisement en lui parlant de mon avenir qui commence à se profiler, en faisant du sexe jusqu'à épuisement réciproque. Sa gêne que je lui dise qu'il m'a manqué, ses mains qui me répondent "idem". Il se moque "Solveig, ça va pas, t'as des sous-vêtements assortis!". Je me venge en enlevant les siens. Plus tard, alors que mes pensées dérivent vers le sommeil, il murmure encore "je t'aime", et j'embrasse ce creux entre les omoplates où mes lèvres s'emboîtent parfaitement. De bisou en ondulation, nous retournons au pays du plaisir...

Ce ne sont pas les liens matériels dont il est le plus dur de se détacher.

Présentation

J'ai commencé à ouvrir les pages de mon carnet intime lors de mon passage à la non-exclusivité amoureuse, parce que j'avais besoin de poser des mots sur ce que je vivais et de le partager. J'aime garder ici des traces de moi, parce que je suis souvent surprise de retrouver longtemps après quelles furent mes pensées et émotions à un moment donné... ma démarche ignore toute pudeur, soyez prévenu.e.s. Ainsi donc, voici mes amours, ma vie en squat, et quelques réflexions politiques.