Complément d'humeur

Vivre me prend tout mon temps

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La Maison Simple

J'aimerais vous raconter mon week-end, minute par minute. Pour ne pas oublier le moindre sourire, la moindre discussion...

Vous raconter le lieu, son histoire, ses histoires, sa déco et ce qu'il représente pour moi.

Vous raconter les gens, leurs styles tous différents, leurs écorchures à fleur de peau, leur force, leur joie et leurs rires, leurs convictions aussi. Et leurs rêves. Et tout ce que nos discussions m'ont apporté.

Vous raconter mon enthousiasme débordant, mes peurs à l'idée d'y aller. Et mon soulagement, l'évidence que ce lieu me correspond. Qu'une autre vie est possible. Qu'une autre vie est {obligatoire}, comme m'a répondu un autre visiteur de passage.

Car les Tanneries, c'est un squat, un lieu de vie. Les personnes qui y habitent s'y investissent, se réapproprient leur vie, et ce squat est sans aucun doute le foyer le plus convivial, chaleureux (malgré le froid) que je connaisse.

Mais ce n'est pas un endroit dans lequel on se réfugie pour se couper du monde comme tant de logements urbains. Au contraire, les habitants n'hésitent pas partir pour des périodes plus ou moins longues, et je ne les ai d'ailleurs pas tous rencontrés car beaucoup étaient sur les routes (ou hébergés dans d'autres squats pour un moment, ou chez des amis, de la famille... je sais pas exactement). C'est dommage, parce que les présents m'ont fait l'éloge de ceux que je n'ai pas vus et je suis pressée de les connaitre... m'enfin du coup on a pu emprunter une chambre plutôt que d'utiliser le sleep'in (sorte de dortoir pour héberger tous les gens de passage).

C'est un endroit d'où les gens bougent, c'est un endroit où les gens viennent. Pour une nuit, une semaine ou un mois, parce qu'ils connaissent un habitant ou sont en galère, parce qu'ils partagent des idéaux politiques ou simplement une manière de vivre. Cette maison simple connait le sens de l'hospitalité, et je m'y suis sentie accueillie sans effusion, sans même avoir besoin de le dire : tout naturellement. Bien sûr ils connaissent et apprécient Lunar, et il avait prévenu de notre venue - mais j'ai vu arriver plusieurs personnes en deux jours et chacun était le bienvenu.

Alors bon, là je dis que le beau, ce dont peu se doutent lorsqu'on parle d'un squat. C'est vrai aussi que le verrou de la porte est toujours mis (moi qui ne ferme jamais mon appart !), parce qu'ils sont expulsables par les flics, parce que sans titre de propriété ou de location, n'importe qui peut venir dépouiller ton chez-toi sans que tu aies le moindre recours. D'autant plus que ces anarchistes convaincus n'iraient jamais porter plainte, bien sûr. Tu dois demander qui c'est avant d'ouvrir la porte, et si tu connais pas la personne, demander à un résidant. Tu dois prévenir quand tu sors, pour que quelqu'un vienne fermer derrière toi. Pour pouvoir vivre comme ils l'entendent, les squatteurs se doivent de protéger leur petit paradis imparfait, tout en évitant de se ghettoïser. Il me semble qu'ils y parviennent plutôt bien, malgré tout. Oui il fait froid en hiver, oui c'est pas toujours facile de faire assez de récup' pour nourrir tout le monde (récup : récupérer les fruits et légumes jetés à la fin des marchés, le pain invendu par les boulangeries, etc - car notre société de consommation gâche des quantités de bouffe hallucinantes), oui le confort n'est pas celui d'un palace, oui le ménage par autogestion laisse certains en faire moins et la tendance générale tourner au "strict minimum"... mais ça tourne.

C'est un foyer, c'est une salle de concert aussi, c'est un free-shop et un lieu de réflexion politique, et une chance extraordinaire pour les inadaptés de la société consumériste, superficielle et nuisible qu'est la nôtre, ou plutôt non, qui n'est pas nôtre mais qui est là malgré tout, parce que nul ne s'en sent responsable. Cette société à laquelle nous ne devons, nous ne pouvons pas nous résigner, car comment justifier le gâchis, l'injustice érigés en mode de fonctionnement ?!

Alors oui, je m'y suis sentie bien, comme cela ne m'était pas arrivé depuis bien longtemps - comme j'en avais rêvé depuis toujours. Parce qu'ici, les gens s'investissent, débordent d'énergie et d'enthousiasme, d'envie de communiquer aussi. Ici, j'ai pu discuter avec chacun, dans un climat d'écoute et de tolérance - l'égalité entre hommes et femmes, la liberté de vivre l'amour libre, le respect des choix individuels y sont des évidences. Ici, j'ai pu participer à la vie de la communauté sans me sentir exploitée. Prendre le temps de rendre un service, de donner un renseignement, c'est naturel et spontané. Et tous ces gens merveilleux cherchent à rendre le monde plus beau, osent se remettre en question constamment, savent respecter l'autre pour ce qu'il est et non pour son compte en banque. Ici, les projets pullulent, se croisent et s'entremêlent, au gré des envies, des passions de chacun. Il y a ainsi la salle de concert qui est à l'origine du squat, pour offrir une diffusion aux musiques non commerciales (oui, c'est essentiellement du punk, hein) et un lieu convivial aux dijonnais. Il y a aussi l'informatique, avec pRiNT, le jardinage grâce à l'annexion d'un petit terrain communal en friche, le free-shop où chacun amène ce dont il ne se sert pas et prend ce qui lui plait, les émissions de radio de Vegor, l'atelier de réparation de vélos, la bouffe végan (pas de produits de l'exploitation animale, ce qui exclut viande, poisson, produits laitiers, oeufs, miel et tutti quanti) pas fade du tout parce que celui qui décide de la faire y met en général toute son ingéniosité... ici on a le temps de faire ce que l'on veut.

Alors oui, en fait, le miracle de ce mode de vie, c'est de se réapproprier son temps. Parce qu'en travaillant, on épuise notre énergie et la durée de notre vie dans des activités stériles, ou du moins on ne l'investit pas dans ce que nous voudrions faire. Ici le matin, on se demande ce que l'on a envie de faire, ce qu'il est nécéssaire de faire pour la communauté, et personne ne pointe votre temps de présence.

La clé essentielle est là : la communauté. Les squatteurs choisissent de vivre ensemble, conscients des problèmes que cela engendre mais aussi de l'enrichissement constant, par le partage des connaissances, la confrontation des idées, le soutien moral, et le partage des tâches quotidiennes.

J'en ai déjà trop dit, mon article est trop long ? Il m'est impossible de le résumer, de le couper. J'ai besoin d'en parler, c'est trop important pour moi.

J'étais la seule fille pendant la majorité du week-end, et je l'ai à peine ressenti - et nul n'a eu le réflexe de lancer des remarques à ce sujet, comme il y en aurait eu dans toutes les communautés que je connais. J'étais la seule à n'avoir jamais goûté au régime végan et ils ont supporté avec le sourire mes questions idiotes et gaffes répétées. De même que les geek d'entre eux ont pris le temps de m'ouvrir des "fenêtres internet" et de me montrer comment le faire, Végor a pris le temps de m'organiser une visite guidée, djrom et arf non-fumeurs ont accompagné mes pauses-clope pour ne pas interrompre nos discussions, Panoramix n'a pas ménagé ses efforts pour qu'il y ait toujours de la potion magique à boire (à base de thé, cannelle, gingembre, fleur d'anis, cardamone, et selon inspiration), le Polonais m'a raconté son improbable parcours à travers l'Allemagne, Israël et notre douce comté (il a finalement obtenu une carte de séjour), Sans-cheveux (c'est le seul et je lui connais pas de pseudo) m'a signalé en me voyant faire la grosse vaisselle que je ne devais pas me sentir obligée de m'activer tout le temps, Ned m'a résumé l'histoire du squat et a répondu à mes questions sur le fonctionnement de leur communauté...

Je les aime en les ayant si peu vus. J'aime leur vie qu'il m'ont laissée partager. J'aime leur maison qui est si belle et vivante. J'ai eu mal de devoir partir, heureusement que j'espère pouvoir aller y passer un peu plus de temps bientôt. Je dois juste me convaincre de ne pas tout lâcher pour y courir, maintenant...

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Présentation

J'ai commencé à ouvrir les pages de mon carnet intime lors de mon passage à la non-exclusivité amoureuse, parce que j'avais besoin de poser des mots sur ce que je vivais et de le partager. J'aime garder ici des traces de moi, parce que je suis souvent surprise de retrouver longtemps après quelles furent mes pensées et émotions à un moment donné... ma démarche ignore toute pudeur, soyez prévenu.e.s. Ainsi donc, voici mes amours, ma vie en squat, et quelques réflexions politiques.