Complément d'humeur

Vivre me prend tout mon temps

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Instants mémoire

Lunar posant sa tête sur mes genoux, et moi plongeant la main pour grattouiller ses cheveux. Lunar et moi nous emboîtant, mes courbes absorbant ses os saillants. Lever la tête de mon bouquin pour entendre Lunar dire qu'un bout de code est "sexy" (généralement c'est du haskell) ou pour lui lire une phrase qui m'a faire rire ou sourire. Dériver avec Lunar dans les rues de Paris, en parlant, choisissant nos directions selon nos envies communes ou respectives, fluidement - et faire confiance à sa connaissance du quartier pour nous rapatrier quand nos jambes deviennent lourdes. Faire la vaisselle en arrivant chez Lunar pendant qu'il me cuisine un petit plat, ou juste me poser devant un ordi en attendant qu'il m'ait servie. Me lever avant Lunar et préparer du thé pour nous deux avant de le réveiller doucement. Geeker à côté de Lunar et communiquer seulement pour dire "T'as vu, machinE a blogué ça...". Assister amusée aux élans lyriques de Lunar face à une technologie nouvelle, assister amusée aux grognements sombres du Lunar devant un code sale ou une sécurité merdique. Laisser Lunar me prendre dans ses bras pour y pleurer, parce qu'il a appris comment ne pas me brusquer, ne pas me faire refouler la douleur. Prendre un bain avec Lunar et enfouir trois fois sa tignasse dans l'eau pour réussir à la mouiller, masser le cuir chevelu pendant que des gémissements de plaisir s'échappent de ses lèvres, et plus tard démêler l'enchevêtrement - son étonnement souvent renouvellé que je l'aie ordonné complètement. Me lever tard dans la chambre de Lunar dont il est parti au matin, et lui laisser un mot gentil pour quand il rentrera le soir. Me promener avec Lunar sur les bords de Seine, nous assoir sur ce quai où les gens font souvent de la capoeira. L'enthousiasme de Lunar me faisant un cunnilingus, sa gourmandise joyeuse à explorer mon sexe de sa langue, me laisser aller parce qu'il sait titiller mon clitoris. M'assoir sur le rebord de la fenêtre de Lunar, complètement stressée parce qu'il est grimpé en haut du toit pour bouger son antenne Wifi et que s'il tombe... n'y pensons pas. Me retourner vers Lunar alors que nous marchons côte à côte, échanger un sourire synchrone parce que nous venons de remarquer la même personne qui nous plait, ou dont nous savons qu'elle plait à l'autre, et partager dans un regard ces amours d'une seconde. Ne même plus dire "c'est blogable" parce que Lunar sait que je vais le dire. Redécouvrir plusieurs fois avec une surprise neuve qu'en quelques mots, Lunar est capable de me remettre sur les rails de ma vie lorsque je m'y sens complètement perdue. Sentir les longues mains fines de Lunar sur mon corps, rarement insistantes et jamais intrusives, légères comme des feuilles d'arbre dans le vent. Dire à Lunar que je suis enfin prête à apprendre ce truc informatique dont il me parle depuis des mois, ou au contraire savourer lorsqu'il m'apporte son support technique pour un problème que je ne me sens pas prête à aborder. Faire un détour lors d'un trajet dans le centre de Paris pour aller chercher des glaces chez Bertillon, l'amusement sans condescendance de Lunar lorsque j'en repars avec le cornet le plus rempli. L'écoute attentive que Lunar adopte lorsque je lui décortique mes autres relations, passions, gens fascinants. Apprendre à dire "ping" avant de parler à Lunar lorsqu'il est devant un écran - et surtout attendre le pong. Rester éveillée à lire très tard pendant mes insomnies, sachant que Lunar m'ouvrira les bras lorsque je viendrai le rejoindre dans le lit. Les trois semaines à me mordre la langue pour ne pas dire à Lunar que je l'aime, par peur de le faire fuir - le murmurer seulement lorsqu'il est endormi - jusqu'à ce que lui me le dise en premier. Me baigner dans la mer pendant que Lunar lit sur la plage, revenir m'allonger dans le sable à côté de lui pour sécher au soleil, les yeux fermés, intensément consciente qu'il ne se concentre plus sur son livre jusqu'à ce qu'il me dise que je suis une sirène - et ouvrir les yeux, sourire en grand parce que nous échangeons ce désir impossible à réaliser sur la plage bondée. Lorsque Lunar ne va pas bien, ne surtout pas l'aborder de front mais l'amener progressivement par des questions détournées à formuler, partager sa douleur. Appeller Lunar lorsque j'ai enfin fini de lire mon livre dans mon bain, pour qu'il vienne me frotter le dos, et parler quelques instants alors qu'il est accroupi près de moi les mains dans l'eau - et finalement le laisser me sécher consciencieusement chaque parcelle de peau avec une serviette. Lunar me répondant au téléphone à trois heures du matin pendant ce week-end prolongé où la douleur me rendait folle, et chassant ma crise d'angoisse par quelques phrases tendres. Prendre l'habitude de fermer la porte de ma chambre lorsque Lunar y dort avec moi, pour éviter que mon chat ne vienne se frotter à lui - il déteste le contact des animaux. Me trouver odieuse la première fois où nous préparons un repas collectif ensemble, sentir que Lunar puise dans sa patience, et nous réconcilier muettement lorsque les gens à table complimentent le plat. Suivre Lunar à des manifs et halluciner devant le nombre de gens qu'il salue. Réclamer à Lunar qu'il écrive plus régulièrement sur son blog et réciproquement. Courir en catastrophe chercher des capotes dans tous les coins de mon appart parce que Lunar et moi sommes arrivéEs à court. Passer de longues heures à enchaîner les questions auxquelles il répond en trois mots maximum, m'obstinant pour comprendre quel projet l'absorbe en ce moment. Être toujours sidérée par la capacité de Lunar à dire des choses impliquantes au moment où je m'y attends le moins, comme ce "en fait je crois que j'aimerais bien habiter avec toi" sur irc. Partir avec Lunar, une collation dans un sac, pour grignoter dans les improbables coins de verdure de la capitale. Lunar m'appellant pour me proposer des concerts, plonger dans la musique en sachant qu'il plonge avec moi. Lunar, et moi, et lui dans un lit. Chopper Lunar sur irc à la fin de ma journée de travail, lui proposer un ciné et rechercher parrallèlement les séances en VO des films qui nous plaisent, puis décortiquer ensemble l'intrigue ou la psychologie des personnages, et laisser ces discussions dériver vers des considérations plus personnelles. Marcher dans le métro en tenant la main de Lunar en jupe, marcher dans son école d'informatique en tenant Lunar en jupe par la main, et anticiper les récits édifiants de réactions d'étudiants. L'imperméabilité de Lunar à ma bouderie, qui m'oblige à dépasser cette réaction pour forcer le dialogue. Apprendre sur Lunar comment donner du plaisir anal, trembler de peur en le pénétrant. M'ébahir de la joie de Lunar à couper du bois pour réchauffer les Tanneries hivernales. Lunar sauvant mon premier de l'an en venant faire un dîner en amoureux. Une fois de temps en temps, aller faire des courses pour remplir les placards de Lunar puisque je mange chez lui souvent, et ses grognements de principe parce que je rapporte plein de sucreries chez lui. Les regards échangés avec Lunar, suite auxquels nos vêtements disparaissent en quelques secondes. Le petit déclic que Lunar a donné ce soir-là, pour que je passe ma première nuit avec elle. La capacité qu'a Lunar de ne jamais empiéter sur ce qui m'est indispensable. La sincérité gênée de Lunar m'avouant qu'il a lu mon carnet intime qui trainait dans ma chambre lorsqu'il y a dormi sans moi. Lunar constatant qu'il est possible d'érotiser intensément les parties les plus inattendues du corps, "maintenant ça me fait des frissons quand tu m'embrasses entre les clavicules". Lunar me faisant découvrir Dijon pour la première fois. Les très longues explications de Lunar jusqu'à ce que je comprenne la différence entre logiciel libre et gratuit. Les longues heures passées avec Lunar devant des jeux vidéos antiques, riant ensemble des énigmes saugrenues ou trichant avec la soluce. Ma préparation de deux soirées surprises pour les anniversaires de Lunar, auxquelles il s'attendait immanquablement. Lunar qui me déshabille et me met au lit lorsque je suis trop saoûle ou fatiguée pour le faire. Montrer à Lunar comment repeindre un mur. Aller acheter un pantalon noir avec Lunar avant sa première soirée goth, et rire ensemble en sortant du discours du vendeur. Mes questions sans fin pour comprendre le daltonisme jusqu'à ce que Lunar me montre le site où j'ai vu comme lui. Les premiers mois, Lunar se rasant lorsque j'arrivais s'il ne l'avait pas fait avant. Les cris que pousse Lunar lorsque je lui étale la cire chaude sur les jambes, la fois où il avait décidé d'essayer l'épilation. Nos compromis matinaux, Lunar aimant la radio au réveil et moi la musique. Lunar m'expliquant l'art de la photo. Ma joie amère que Lunar soir pris à son master. Faire des massages à Lunar et vice-versa. Lunar subissant patiemment mon stress lorsque mes règles ne viennent pas pendant plus de trois mois. Recueillir Lunar après des sessions de geekage intensif qui le laissent vidé, prendre soin de lui quelques heures. Me faire disputer par Lunar lorsque je fume des blondes chez lui. Lunar me posant l'injonction d'aller voir un médecin avant de partir vivre en squat, lorsque ma toux devient préoccupante. Cette fois où il me répondit simplement "Tu veux casser quoi ? Si tu veux plus qu'on fasse de sexe ensemble, je m'en fiche - ça va me manquer mais je m'en fiche. Si tu veux plus qu'on se voie pendant un moment, je disparais. Mais si tu veux qu'on se voie plus du tout, alors là tu rêves".
Lunar buvant son thé face à moi, en ce petit matin de notre première nuit passée ensemble, et cet espoir informulé que ce ne soit pas la seule.

Il y eut aussi plein de moments durs bien sûr - ces instants précieux ne voudraient rien dire sans cela. Nous nous sommes fait mal, nous nous sommes reconstruits, remis en cause trop de fois pour les compter. Nous avons traversé des situations douloureuses, avons réfléchi à l'évolution de notre relation, avons tenté de trouver des solutions acceptables à nos problèmes et y sommes arrivés souvent. Notre communication a évolué, nous avons appris à nous connaître et aussi à accorder notre confiance.

Cela fait des mois maintenant que les interractions sont difficiles régulièrement, que plus rien n'est évident. Ce n'est pas la première fois que nous pensons à finir cette relation, évidemment - mais l'idée jusqu'à présent ne pouvait dépasser le stade de la conception intellectuelle, parce que nos tripes se tordaient, nos cerveaux hurlaient à l'unisson que c'était impossible. Je ne sentais pas cette éventualité exister, je n'ai pas vu sa douleur croître jusqu'à ce qu'il me parle comme à une étrangère, exactement lorsque j'étais vulnérable, lorsque j'avais désespérément besoin de lui, jusqu'à ce qu'il me poignarde froidement alors que j'étais déjà complètement détruite. Indifférent à ma douleur parce que charriant la sienne, espérant peut-être consciemment que je le rassure d'un signe, mais venant exactement à ce moment, de cette manière, pouvait-il ignorer que je n'étais pas capable de répondre ?

Je n'arrive pas à comprendre quand, comment exactement, nous avons pu déraper, laisser tout ça nous glisser des mains, oublier que c'était précieux. Maintenant je tente d'en récolter les morceaux pour les ranger délicatement au fond de moi, et je crois que ça va être très long de leur trouver une organisation laissant de la place pour d'autres choses.

"C'est parce qu'on attend rien l'un de l'autre que l'on peut se donner beaucoup". Et, insensiblement, un jour on se retrouve à attendre beaucoup d'une personne, d'une relation, et à ne plus être capable d'y donner grand-chose, ne plus y trouver ce qu'on espère, sentir que l'autre attend trop. Toute tentative devient douloureuse. On se lacère par trop d'amour mal investi.

"I play dead : it stops the hurting"

Trackbacks

Aucun trackback.

Les trackbacks pour ce billet sont fermés.

Commentaires

1. Le dimanche 22 mai 2005 à 17:50, par Nimwendil

Mince, je me suis mis à sangloter tout seul devant mon écran. Ce catalogue d'anecdotes personnelles a paradoxalement un côté universel qui le rend poignant... Et cette phrase, "On se lacère par trop d'amour mal investi"... Ca fait mal.

2. Le lundi 23 mai 2005 à 16:38, par bankair

"On se lacère par trop d'amour mal investi."... Oui, c'est bien possible. Le désir corrompt il l'amour sincère ? Possible aussi. Mais ne serait-ce pas plutôt le temps qui passe en enracinant en nous la conviction d'une forme de devoir de l'autre et envers l'autre qui érode doucement l'affection gratuite et creuse nos attentes ?

Compliqué, simple. Et tellement effrayant.

Tu écris beau, solveig (pas de faute dans cette phrase, les termes sont exactement les plus proches de mes idées).

3. Le jeudi 2 juin 2005 à 04:27, par K

Très touchant, moi aussi j'en ai les larmes aux yeux... C'est fou comme on peut se reconnaître dans tes écrits Solveig. Merci

Ajouter un commentaire

Les commentaires pour ce billet sont fermés.

Présentation

J'ai commencé à ouvrir les pages de mon carnet intime lors de mon passage à la non-exclusivité amoureuse, parce que j'avais besoin de poser des mots sur ce que je vivais et de le partager. J'aime garder ici des traces de moi, parce que je suis souvent surprise de retrouver longtemps après quelles furent mes pensées et émotions à un moment donné... ma démarche ignore toute pudeur, soyez prévenu.e.s. Ainsi donc, voici mes amours, ma vie en squat, et quelques réflexions politiques.