Complément d'humeur

Vivre me prend tout mon temps

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Fêlures

Je me suis éparpillée. Attention, hein : j'étais heureuse. Ouverte à tous les vents, dans l'oeil du cyclone, semant mes rires et ma tendresse. M'abreuvant à celle des autres, m'en emplissant même, et découvrant tant de choses et de gens. Jamais posée, avec un emploi du temps rempli au moins une semaine à l'avance, tentant de vivre plusieurs vies en même temps - puisqu'elle est trop courte, autant la remplir. Ballotée au gré des humeurs et des envies des autres, tentant de leur faire du bien quand c'était possible, me sentant souvent inefficace car incapable de consacrer assez de temps à chacun. Assouvissant mes désirs, mes fantasmes, parfois avant même de les avoir vus naître. Renonçant à dormir, à manger, à penser parfois, parce que "nous avons toute la vie pour nous amuser, nous avons toute la mort pour nous reposer" (Moustaki, La philosophie). Et tout ça sans arriver trop tard au travail, hein. Réussissant même, la plupart du temps, à y être lavée, coiffée, habillée de propre. Ma maison dans mon sac bandoulière, prenant tous lieux comme pistes d'atterrissage d'urgence. Prenant même le temps de lire, dans le métro ou en attendant les gens. De suivre par internet la vie de ceux que je n'avais pas le temps de voir, en renonçant à la pause déjeuner. D'écrire même, parfois, après 18h (bien que je pratique beaucoup la technique des 10 textes en attente, en ce moment). Enfin bref, vivre à un rythme éffréné, sans prendre le temps de respirer, mettant à profit chaque instant et chaque rencontre. Si vous voulez essayer, c'est facile. Il suffit : de boire beaucoup de thé, de remplacer par du Martini quand vous êtes en bar (au moins trois fois par semaine) (avec beaucoup, beaucoup, beaucoup de citron, le martini. C'est important les vitamines) ; de dormir chaque nuit dans un lit différent, avec des personnes désirables qui vous tiennent en éveil ; de prévoir deux réveils le matin ; de laisser des recharges aux endroits stratégiques (linge, brosse à cheveux) sans oublier la brosse à dents dans le sac ; de garder un chargeur de secours au bureau pour être toujours joignable et permettre aux gens de vous proposer encore d'autres soirées ; d'avoir un agenda très bien tenu, pour ne pas poser de lapin - très délicat, le lapin, quand on peut consacrer environ un soir par semaine à chacun ; de laver le linge dès que l'on pose un pied à la maison, et de penser à en reprendre ; de se faire prêter des livres, beaucoup, pour ne pas s'endormir dans le métro ; de trouver une bonne boulangerie pour se fournir en aliments rapidement consommables ; de mettre à profit le midi pour voir encore d'autres gens ; de tenir régulièrement le compte des heures passées avec chacun pour équilibrer ; de regarnir régulièrement son portefeuille en capotes ; de faire légèrement sentir à chef qu'il part en avance ce soir, pour qu'il vous laisse en paix si vous êtes en retard demain matin ; d'aller au cinéma à la première séance pour ne pas s'endormir au milieu ; de décaller l'heure de prise de la pilule à une heure où l'on ne dort jamais, vers minuit pour bien faire, et éduquer les gens à vous le rappeller. Et le sourire, toujours. On ne va quand même pas perdre des soirées précieuses à parler de ce qui va mal, soyons sérieux.

Je vous conseille d'essayer. A partir d'un moment, plus vous dépensez d'énergie, plus vous en avez. Lorsque vous n'en avez plus, tendez les nerfs : ils retiendront les fragments ensemble.

Et lorsque vous serez vides comme je le suis aujourd'hui, vous verrez venir la période de repos forcé, de glandouille improductive comme un mirage, c'est certain. Je coupe tout autour de moi pour réussir à m'en dépêtrer, je taille à vif, je fuis, oui, ces gens que j'aime et qui ne peuvent rien pour moi. J'ai envie de me retrouver seule avec moi-même, enfin, d'arrêter les machines et la musique étourdissante. Je ne sais plus qui je suis, j'ai mal qu'on m'aime ainsi, et pourtant je suis touchée que certains se soucient de moi. Ne pouvant m'empêcher de couler, ils me confient de la tendresse à emmener au fond - j'en fais des réserves, je sais comme il fait froid lorsqu'on est nu dans l'espace de notre âme, et comme il est dur de ressortir du gouffre de la douleur et de l'auto-apitoiement. Je vais aller au fond, tenter de retrouver mon essence, et repositionner autour ce qui doit l'être, faire le bilan de mes expériences récentes, en garder le meilleur comme toujours et laisser glisser ce qui fait mal, ce qui est fini, ce qui est devenu inutile. Renoncer aux colères refroidies, aux peurs découvertes, à la tristesse. Traverser une phase de mélancolie douce, sans doute - tant de souvenirs à emballer précieusement avant de les ranger au fond d'une boîte. Pleurer encore, et donner dans ces larmes ce que je n'ai pas su dire, pas osé faire. Puis libre de remords, de regrets, libre et forte de mon passé, envisager l'avenir et dénouer dans ses fils chatoyants la route qui me convient. Ensuite, me reformer dans ce but, réunir mon courage, ma force, mes désirs. Prendre le temps de souffler. Et enfin, revenir au monde, encore une fois - tant de naissances déjà, à chaque métamorphose. Je serai moi, rien de plus, la transcendance n'est pas pour cette fois - ni jamais, j'espère. Mais je serai entière, éveillée, prête à être émerveillée avec mes nouveaux yeux d'enfant. Prête à ressentir de nouveau les émotions, quite à en souffrir.

Pas exactement comme la chenille qui devient papillon, finalement peu va changer. Plutôt comme les insectes qui, toute leur vie, connaissent des mues successives, à chaque fois qu'il grandissent. Pareille à eux, je sens que ma vie me gêne aux entournures - alors je fais tout craquer, et je découvre ma nouvelle peau plus adaptée à ma forme actuelle. Voyez comme elles sont belles, les couleurs d'une peau toute neuve.

Si j'y arrive.

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Commentaires

1. Le vendredi 7 novembre 2003 à 18:14, par Simatante Ennavet

> Fêlures / failure ?
Well, looks like léparpillage is contagious. Now we have Christie-Lee en rupture de blog because their past present future lovers ont des vapeurs, Maia-couche-toi-la est devenue Sainte M'y Touche, Lunar ne blogue plus, Anne Archet cancerise (et reinvente Harlequinxxxx) Womanizer fantasme, that's all he has left re pacemaker, et Zapata reinvents Harlequinxxx. Heureusement Solveig frenetique decided to help Durex maintain its sales objectives (see http://search.ft.com/search/article.html?id=031106001370&query=durex&vsc_appId=totalSearch&state=Form) - she use to be ecartelee (=4 lovers) now she is eparpillee (= more than 7 since she does not have enough days in the week to cope). Well well, tous ces gens qui t'aiment, comme dirait le butler de Lady Di a Paula Zahn the other day, what does it mean , love, I love my wife, I love my children, I love my dog, I love my football (he means soccer) team, I loved Lady Di, I wonder if all these wonderful sentimentaux love something beyond fourrer Solveig ? NOMB anyway - just reactions - hopefully there is more to life than this - take care et repose-toi - cheers for now

2. Le samedi 8 novembre 2003 à 17:30, par Kobal2

> Fêlures
Wondering about that myself...

3. Le jeudi 13 novembre 2003 à 19:28, par Solveig

> Fêlures / failure ?
There's more to live than this. Björk. Bonnes références, monsieur l'inconnu qui m'obliges à lire en semi-anglais :)

4. Le dimanche 16 novembre 2003 à 23:58, par Simatante Ennavet

Bjork
C'est difficile de trouver le alt + pour le o trema - la reference m'echappe, my only Bjork reference is that wonderful film / comedie musicale she did way back when . Content de voir que ton anglais se maintient. Bis bald - Simatante

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Présentation

J'ai commencé à ouvrir les pages de mon carnet intime lors de mon passage à la non-exclusivité amoureuse, parce que j'avais besoin de poser des mots sur ce que je vivais et de le partager. J'aime garder ici des traces de moi, parce que je suis souvent surprise de retrouver longtemps après quelles furent mes pensées et émotions à un moment donné... ma démarche ignore toute pudeur, soyez prévenu.e.s. Ainsi donc, voici mes amours, ma vie en squat, et quelques réflexions politiques.