Complément d'humeur

Vivre me prend tout mon temps

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Affectivogramme plat

Discussion compliquée, ressentis décalés, sentiments désynchronisés. Lunar parle, je réponds de moins en moins, luttant contre la douleur qui m'anesthésie le cerveau, m'étreint la gorge, contre cette nausée qui me retourne le ventre. Puis je renonce, m'allonge près de lui, contre lui, et il m'enlace, désolé de m'avoir fait souffrir, de "ne pas savoir dire les choses autrement qu'en faisant des reproches". Et je pleure, sentant cette libération me soulager bien davantage que toutes ces dernières fois, parce que je suis dans ses bras et qu'il m'a appris à y pleurer - lent apprentissage de cette confiance rare pour moi.

Mes larmes tarrissent, je souffle "je t'aime". Il hésite une seconde - nous n'avons jamais developpé de "moi aussi" automatique, et tant mieux. "Je ne sais plus ce que je ressens pour toi", constate-t-il. Je réponds que je le sais avant que mon cerveau ait analysé ses mots, j'ai mal avec deux secondes de retard de réaliser que des signes imperceptibles m'en ont avertie inconsciemment. Puis je laisse cette douleur me traverser.

Quelques jolis moments le lendemain. Et jeudi soir, fuyant Paris après une semaine émotionnellement destructrice, je passe chez lui pour reprendre mon sac, il me propose de m'accompagner à la gare, nous atterrissons dans un café après une marche silencieuse (mais pas de ce silence complice, non). Il me confirme qu'il a enterré une bonne partie de ce qu'il ressentait pour moi. Ne me dit pas que c'est fini - si j'avais la moindre énergie, un minimum d'enthousiasme à lui communiquer, "nous" pourrait exister encore, mais je suis vide et je comprends que notre relation ne lui apporte plus rien, que lui ne peut m'aider dans ces circonstances. Pour la première fois, c'est lui qui pose des questions sur notre relation, qui ouvre un dialogue - mais il le fait à un moment où je suis incapable d'articuler une phrase entière. Je lui demande de partir parce que je hais ce contexte, les gens me regardant pleurer dans le bar, parce que que j'ai atteint ce point de désespoir où je préfère couler seule. Résolution, lucidité de ce stade où plus rien n'a de sens. Je cache mes larmes derrière mes mains le temps qu'il parte, puis j'harnache mon sac et vais à la gare.

Il y a un train, presque trois heures plus tard. Je m'affale sur un banc et pleure encore, incapable de trouver une raison de ne pas me jeter sous une voie. Je pleure, pleure, dans cette foule anonyme comme si j'étais seule, et soudain un vieux kabyle s'assoit près de moi, me dit que ça le touche, me prie d'arrêter de pleurer. Il propose d'aller me chercher un café, je sèche mes larmes mais la boulangerie n'en sert plus alors nous finissons par aller dans un bar où il me raconte son arrivée en France, ses amours et quelques énigmes jusqu'à me rendre un sourire pâle mais sincère. Cet homme adorable me parle de la vie, d'amour, sans clichés, sincèrement. Puis il m'accompagne jusqu'au train, me fait la bise et me souhaite bon courage. Je vais en avoir besoin, mais il m'a déjà rendu l'essentiel : cette certitude nécessaire que les interractions humaines, malgré la douleur, sont merveilleuses.

Alors je suis morte, mais je vais revivre un jour. En attendant je fais semblant.

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Commentaires

1. Le dimanche 8 mai 2005 à 13:31, par Lunar

Tu cherches depuis longtemps à te persuader que « notre relation ne lui apporte plus rien. » Je n'ai jamais compris de quel « lui » tu veux parler.

2. Le lundi 9 mai 2005 à 01:34, par Thomas

Une raison ? Une larme qui coule, chaude, qui prouve à ta peau que tu es encore là, humaine. La main d'unE amiE qui te frôle pour sécher cette larme. Le sourire pâle du vieux Kabyle. Une goutte d'eau, un souffle de vent et un rayon de soleil.

3. Le lundi 9 mai 2005 à 09:47, par Melie

C'est très touchant. D'autant plus lorsque l'on a l'impression d'avoir vécu la même expérience. Les larmes qui coulent comme d'un torrent intarissable, qu'on se dit qu'il faut remonter à la source et la boucher d'un enduit bien solide.
Et puis l'enduit, c'est le temps...

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Présentation

J'ai commencé à ouvrir les pages de mon carnet intime lors de mon passage à la non-exclusivité amoureuse, parce que j'avais besoin de poser des mots sur ce que je vivais et de le partager. J'aime garder ici des traces de moi, parce que je suis souvent surprise de retrouver longtemps après quelles furent mes pensées et émotions à un moment donné... ma démarche ignore toute pudeur, soyez prévenu.e.s. Ainsi donc, voici mes amours, ma vie en squat, et quelques réflexions politiques.