Complément d'humeur

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Cartes géographiques

Lorsque nous étions enfants, nous dessinions des cartes. Elles n'étaient pas copiées d'après un atlas, au contraire : nous inventions des lieux qui auraient dû exister ou dont nous aimions l'inexistance. Nous composions ces cartes avec le plus grand soin, y plaçant bien sûr un trésor marqué d'une croix rouge, mais surtout, nous répartissions déserts, falaises et jungles, sans oublier les fleuves et rivières sinuant depuis les montagnes jusqu'aux deltas.

Nos crayons de couleurs déployaient leurs teintes parfois imprévues, et nous prenions garde à ce que le turquoise de la mer ne dépasse pas la côte. Ma soeur agrémentait ses cartes avec les animaux fantastiques marquant l'inexploré, parfois des indications dans un langage secret ; mon frère les peuplait de navires pirates et de dragons, sans considération pour le mélange des mythologies. Les miennes étaient plutôt des endroits idylliques avec fleurs et plages de sable fin.

Lorsqu'elles étaient finies, nous allumions une bougie et réclamions la présence d'un parent pour brûler le bord du papier, ce qui donnait un air de carte antique mystérieusement perdue et retrouvée, très à notre goût. Parfois nous ne maîtrisions pas le feu, et c'était une crise de larmes lorsque notre oeuvre disparaissait dans les flammes - mais nous recommencions, en améliorant le modèle bien sûr. Lorsque la bordure était carbonisée à notre gré, nous froissions en boule, plusieurs fois, pour obtenir un effet de parchemin. Nous poussions parfois le perfectionnisme jusqu'à les traîner dans la terre du jardin, afin qu'elles soient tâchées comme tout objet ayant vécu doit l'être. Puis nous les roulions et scellions à la cire, en apposant notre doigt en guise de sceau - l'empreinte digitale unique pour chaque personne nous fascinait.

Étonnament, je ne me rappelle pas d'avoir cherché les trésors cachés dans nos cartes. Je crois que l'aventure était de créer ces mondes, les explorer eût été un sacrilège. Le merveilleux doit rester secret.

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Commentaires

1. Le mardi 27 mai 2008 à 15:59, par Thomas

Pour compléter le tableau, chez nous, on trempait le « parchemin » dans la théière pour lui donner une couleur jaunie. Quand il avait séché, on y traçait des messages secrets au jus de citron, qu'on pouvait révéler en passant la feuille à la chaleur de la flamme, ou éventuellement dans le four de la vieille cuisinère à bois.

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Présentation

J'ai commencé à ouvrir les pages de mon carnet intime lors de mon passage à la non-exclusivité amoureuse, parce que j'avais besoin de poser des mots sur ce que je vivais et de le partager. J'aime garder ici des traces de moi, parce que je suis souvent surprise de retrouver longtemps après quelles furent mes pensées et émotions à un moment donné... ma démarche ignore toute pudeur, soyez prévenu.e.s. Ainsi donc, voici mes amours, ma vie en squat, et quelques réflexions politiques.