C'était la première fois qu'une fin de relation me détruisait. Je
n'avais jamais connu de ces ruptures haineuses où l'on déteste
l'ex-amant. Je n'avais jamais connu ces masses de rancoeurs, ces
antagonismes larvés, qui maturent dans le non-dit, s'aigrissent et
explosent à la gueule avec la relation. Ce n'était pourtant pas la
première fois que j'aimais, mais jusque-là, la rupture ne salissait
pas ce que j'avais pu vivre de beau avec ceux que j'avais aimés.
Ma relation avec L. a été la plus longue que j'aie vécue - trois ans
et demi ; il y a un an, elle se terminait. Je ne pensais pas que nous
puissions être si important l'un pour l'autre et, soudain, devenir
pire qu'étrangers... le sentir hostile. Ne pas comprendre son
attitude, en être tourmentée pendant des mois, et me culpabiliser.
Puisque notre relation amoureuse était finie, il ne gérait plus du
tout nos interactions, ne tenait absolument plus compte de mes
ressentis - appuyant sur mes faiblesses qu'il connaissait si bien,
sinon dans l'intention de faire mal, du moins sans scrupules à le
faire. Mais s'il n'en avait rien eu à faire de moi, il ne lui aurait
pas été égal de me faire souffrir. J'ai cru qu'il était en colère,
mais lorsque je tentais d'en parler avec lui, il assurait que pour
lui, la page était tournée et qu'il n'avait plus de problème avec
moi. Et d'ailleurs je tentais en vain d'établir un dialogue, il
n'avait plus rien à me dire, ni même envie de me parler.
Peu à peu sa condescendance, ses sévères jugements sur moi et
l'irritation qu'il manifestait devant chaque signe de mon existence se
rejoignaient pour indiquer que, pressé de se débarrasser de sentiments
encombrants, il m'avait décrétée indigne d'eux et s'en était
effectivement vite libéré. Puisque j'étais une conne, la fin de notre
relation ne pouvait le faire souffrir. Le mépris le libérait de moi,
de sa douleur, et des remises en cause aussi, sans doute.
Un soir, j'ai été envahie d'une immense colère contre lui, contre
cette irresponsabilité affective, contre l'attitude de connard qu'il
avait adoptée, dont je n'aurais pu soupçonner qu'il fût capable. Je ne
dis pas que ce n'est qu'un connard - c'est quelqu'un de merveilleux
par plein d'aspects, avec qui j'ai eu une relation enrichissante, et
si j'ai souffert, c'est de l'avoir supposé capable de gérer la douleur
de la rupture, alors qu'il ne l'était pas. Si j'ai souffert, c'est
parce que j'avais l'habitude de faire le bilan de mes relations avec
les intéressés, d'en faire le deuil sans la pourrir, sans regretter ce
que nous avons vécu - cela prend parfois du temps, surtout lorsqu'on a
partagé un amour passionné, mais cela permet de construire des
relations fortes sur la base de notre complicité, connaissance
réciproque, affection.
Le lendemain matin, j'étais libérée de cette douleur : mon deuil, je
le ferais toute seule, et s'il était prêt, s'il avait envie un jour de
faire ce bilan, de s'investir dans une relation amicale ou du moins
cordiale, tant mieux. Mais je pouvais aussi bien attendre des années,
et j'allais pas souffrir pendant ce temps.
Je suis encore triste que cela se soit fini comme ça. Mais cette
tristesse ne me ronge plus ; parfois j'ai encore quelques bouffées de
rage, mais je ne le croise plus très souvent alors ça ne m'empêche pas
de vivre.