Complément d'humeur

Vivre me prend tout mon temps

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

samedi 28 mai 2005

Paris au soleil

Je viens de passer quelques jours à Paris, accompagnée d'un enfant de neuf ans. Occasion de prendre des responsabilités que je ne connaissais pas, de faire des sorties différentes (la cité des sciences pour enfants à la Villette), de découvrir un mode de voyage où il faut savoir à l'avance où on va dormir, prévoir de faire deux repas par jour (et d'avoir ce qui lui plait au petit-déjeuner). Occasions de rire, beaucoup, de m'énerver un peu, d'en avoir marre, de partager de la tendresse, et de faire ce rencontrer cet individu que j'aime à mes amis, qui se sont bien prêtés aux contraintes que sa présence imposait. Occasion de me monopoliser le cerveau avec la préoccupation constante de "où il est ? comment il va ? comment je gère ?" pour juste penser à autre chose qu'à ce qui me fait mal.

Vérifier des pages d'écriture, corriger ensemble les opérations à virgules, courir dans les rues en faisant le vampire. Recueillir dans mon sac ce qu'il ne peut porter, déguster des glaces, réfréner sa consommation de jeux vidéos mais être contente quand ça l'occupe pendant que je dors encore le matin, regarder des films en VO, rire aux éclats devant la panthère rose, lui montrer la plante bizarre avec plein d'épines et sourire lorsqu'il explique que les passantEs le bousculent intentionnellement (je ne me moque pas, je me souviens), m'étonner qu'il passe autant de temps avec les poules, soigner un bobo et choisir ensemble des livres à la librairie Shakespeare and Co, le faire passer sous le portique du métro quand les tickets ne marchent pas et sortir ma bouteille d'eau pour lui éviter la déshydratation.

Revoir des gens que j'aime et avec lesquels je n'ai pas passé assez de temps, sans pouvoir arrêter de penser à celui que je ne vois pas. La distance, que j'espère juste incompréhension, dans nos échanges. Ces quelques heures affreuses à vider son espace de mes affaires accumulées au cours des années. Cette musique que je mets pour y être moins seule et qui me rappelle constamment des souvenirs. Mon dos qui se plaint du poids des souvenirs lorsque je repars vers le métro.

De passage à la maison pour quelques heures, je repars en stop à l'aube pour Grenoble, rejoindre un camion qui m'emmènera à Barcelone pour la queeruption. Jamais mis les pieds en Espagne, je ne parle pas un mot d'espagnol, mais y'a des amiEs qui y vont et surtout je pense y rencontrer plein de gens chouettes.

Faire des choses, continuer à vivre.

vendredi 20 mai 2005

Forfait

Post excessif, subjectif, âmes sensibles s'abstenir.

Elle a débarqué chez moi. Violence. A commencé à hurler. Violence. M'a coincée. Violence. A porté la main sur moi, m'a imposé son contact lorsque je le fuyais. Violence. M'a dit "d'arrêter de faire du cinéma" lorsque j'ai pleuré. Violence. M'a provoquée, acculée, jusqu'à obtenir la réaction violente qu'elle voulait. Violence. M'a maintenue serrée lorsque je lui hurlais de me lâcher. Violence.

Je croyais que ma vie était complètement détruite, visiblement il restait quelques pierres - mon sentiment de sécurité à la maison, mon envie que tous mes cohabitants ne soient pas impliqués dans ma vie privée, mon contrôle nerveux.

Alors oui, elle l'a eue, sa "discussion". Elle m'a redonné sa version des choses, insistant pour me voir confirmer tel ou tel point mais jamais pour entendre ce que moi j'avais à dire. Elle a pu me répéter les mêmes reproches ressassés, j'ai pu lui redire que j'avais merdé. Visiblement ça justifie qu'elle fasse de même. Sur la fin, lorsque le premier choc de la violence est passé, lorsque j'ai commencé à pouvoir m'exprimer, elle s'est hérissée à chacune de mes phrases et puis a déclaré la discussion close. Je ne peux m'empêcher de me demander quel interêt avait pour elle la forme "en vrai", puisque ce n'était pas pour m'entendre, puisque la violence me rend muette, qu'elle n'avait aucune question à me poser. J'imagine que la conclusion lui convient, ce serait le moins vu les circonstances de la "discussion" - et puis tant pis pour moi après tout si je ne veux plus la voir. Je vais donc me désengager de tous les projets où je m'étais lancée et qu'elle a adoptés, éviter tous les lieux où j'ai des amiEs, puisqu'elle a trouvé ces gens très chouettes (de toutes façons elle m'a bien précisé que "personne ne comprend [mon] comportement actuel"), et penser à une nouvelle maison mais en attendant elle me "laisse les Tanneries et #print, tu te rends compte quand même de ce que ça représente ?".

Bien. Juste une chose : pour moi, aimer, ça ne veut pas dire aggresser, harceler, humilier, mépriser, vaincre. Ton amour, je n'en veux pas. Mais, bien sûr tu as raison, c'est moi qui suis folle. C'est juste moi qui hallucine quand je constate que ce comportement, tu ne l'as avec personne d'autre, et que ce comportement me pousse à bout.

Je ne prétends pas être saine d'esprit ce soir. Mais la moi-folle pense que là il serait temps d'arrêter ta vengeance.

Et oui, j'en parle ici, c'est mon ressenti, c'est aussi ma vision des faits, tu préfèrerais que je le taise et moi j'aurais préféré ne pas le subir.

Puisque c'est un drame

(Ceci est la fin d'Électre par Jean Giraudoux)

LA FEMME NARSÈS. Comment cela s’appelle-t-il, quand le jour se lève, comme aujourd’hui, et que tout est gâché, que tout est saccagé, et que l’air pourtant se respire, et qu’on a tout perdu, que la ville brûle, que les innocents s’entre-tuent, mais que les coupables agonisent, dans un coin du jour qui se lève ?

ÉLECTRE. Demande au mendiant. Il le sait.

LE MENDIANT. Cela a un très beau nom, femme Narsès. Cela s’appelle l’aurore.

RIDEAU

jeudi 19 mai 2005

Compte à rebours enclanché

Je ne veux plus la voir jusqu'à signe du contraire, celui-ci pouvant être dans très longtemps. Je lui ai dit. Clairement. Je quitte irc quand elle se connecte. Je lui fournis les informations nécessaires pour que nous ne nous croisions pas à Grenoble, puisqu'elle a décidé d'y aller sachant que je devais m'y rendre avec Romain. Je tente de me couper de cette source d'aggressions pour me reconstruire.

Et là, elle est venue à Dijon. Ça me remplissait pas de joie, m'enfin je pouvais tenter de ne pas y penser. Puis aux Tanneries - c'est moi qui ai paru chiante à vouloir savoir quand pour pouvoir partir. Je suis sortie toute l'après-midi donc, prenant une marge sur l'heure prévue. Forcément, elle était encore là lorsque je suis rentrée - mais j'ai filé vers le jardin pour ne pas la croiser. Quand il a commencé à faire froid, il était huit heures du soir, je me suis dit que, quand même, elle aurait eu la décence de partir enfin, pour respecter le fait que j'habite là et que j'ai besoin d'espace pour vivre, moi aussi. Raté. Je me suis enfermée dans ma chambre jusqu'à être sûre de ne pas la rencontrer en sortant.

Je me demande si elle n'a pas compris le message - mais on pouvait difficilement faire plus clair - ou si elle choisit de n'en avoir rien à foutre, ou si elle cherche à s'assurer que je ne me relève pas.

Envie de lui exploser la gueule, impression qu'elle attend ça pour réaliser enfin que, oui, j'ai mal, et, oui, j'en ai marre qu'elle fasse semblant de l'ignorer.

Ou envie de crever et de ne plus ressentir rien de tout ce qui m'écorche actuellement, mais ça je n'ai pas le courage.

lundi 16 mai 2005

Instants mémoire

Lunar posant sa tête sur mes genoux, et moi plongeant la main pour grattouiller ses cheveux. Lunar et moi nous emboîtant, mes courbes absorbant ses os saillants. Lever la tête de mon bouquin pour entendre Lunar dire qu'un bout de code est "sexy" (généralement c'est du haskell) ou pour lui lire une phrase qui m'a faire rire ou sourire. Dériver avec Lunar dans les rues de Paris, en parlant, choisissant nos directions selon nos envies communes ou respectives, fluidement - et faire confiance à sa connaissance du quartier pour nous rapatrier quand nos jambes deviennent lourdes. Faire la vaisselle en arrivant chez Lunar pendant qu'il me cuisine un petit plat, ou juste me poser devant un ordi en attendant qu'il m'ait servie. Me lever avant Lunar et préparer du thé pour nous deux avant de le réveiller doucement. Geeker à côté de Lunar et communiquer seulement pour dire "T'as vu, machinE a blogué ça...". Assister amusée aux élans lyriques de Lunar face à une technologie nouvelle, assister amusée aux grognements sombres du Lunar devant un code sale ou une sécurité merdique. Laisser Lunar me prendre dans ses bras pour y pleurer, parce qu'il a appris comment ne pas me brusquer, ne pas me faire refouler la douleur. Prendre un bain avec Lunar et enfouir trois fois sa tignasse dans l'eau pour réussir à la mouiller, masser le cuir chevelu pendant que des gémissements de plaisir s'échappent de ses lèvres, et plus tard démêler l'enchevêtrement - son étonnement souvent renouvellé que je l'aie ordonné complètement. Me lever tard dans la chambre de Lunar dont il est parti au matin, et lui laisser un mot gentil pour quand il rentrera le soir. Me promener avec Lunar sur les bords de Seine, nous assoir sur ce quai où les gens font souvent de la capoeira. L'enthousiasme de Lunar me faisant un cunnilingus, sa gourmandise joyeuse à explorer mon sexe de sa langue, me laisser aller parce qu'il sait titiller mon clitoris. M'assoir sur le rebord de la fenêtre de Lunar, complètement stressée parce qu'il est grimpé en haut du toit pour bouger son antenne Wifi et que s'il tombe... n'y pensons pas. Me retourner vers Lunar alors que nous marchons côte à côte, échanger un sourire synchrone parce que nous venons de remarquer la même personne qui nous plait, ou dont nous savons qu'elle plait à l'autre, et partager dans un regard ces amours d'une seconde. Ne même plus dire "c'est blogable" parce que Lunar sait que je vais le dire. Redécouvrir plusieurs fois avec une surprise neuve qu'en quelques mots, Lunar est capable de me remettre sur les rails de ma vie lorsque je m'y sens complètement perdue. Sentir les longues mains fines de Lunar sur mon corps, rarement insistantes et jamais intrusives, légères comme des feuilles d'arbre dans le vent. Dire à Lunar que je suis enfin prête à apprendre ce truc informatique dont il me parle depuis des mois, ou au contraire savourer lorsqu'il m'apporte son support technique pour un problème que je ne me sens pas prête à aborder. Faire un détour lors d'un trajet dans le centre de Paris pour aller chercher des glaces chez Bertillon, l'amusement sans condescendance de Lunar lorsque j'en repars avec le cornet le plus rempli. L'écoute attentive que Lunar adopte lorsque je lui décortique mes autres relations, passions, gens fascinants. Apprendre à dire "ping" avant de parler à Lunar lorsqu'il est devant un écran - et surtout attendre le pong. Rester éveillée à lire très tard pendant mes insomnies, sachant que Lunar m'ouvrira les bras lorsque je viendrai le rejoindre dans le lit. Les trois semaines à me mordre la langue pour ne pas dire à Lunar que je l'aime, par peur de le faire fuir - le murmurer seulement lorsqu'il est endormi - jusqu'à ce que lui me le dise en premier. Me baigner dans la mer pendant que Lunar lit sur la plage, revenir m'allonger dans le sable à côté de lui pour sécher au soleil, les yeux fermés, intensément consciente qu'il ne se concentre plus sur son livre jusqu'à ce qu'il me dise que je suis une sirène - et ouvrir les yeux, sourire en grand parce que nous échangeons ce désir impossible à réaliser sur la plage bondée. Lorsque Lunar ne va pas bien, ne surtout pas l'aborder de front mais l'amener progressivement par des questions détournées à formuler, partager sa douleur. Appeller Lunar lorsque j'ai enfin fini de lire mon livre dans mon bain, pour qu'il vienne me frotter le dos, et parler quelques instants alors qu'il est accroupi près de moi les mains dans l'eau - et finalement le laisser me sécher consciencieusement chaque parcelle de peau avec une serviette. Lunar me répondant au téléphone à trois heures du matin pendant ce week-end prolongé où la douleur me rendait folle, et chassant ma crise d'angoisse par quelques phrases tendres. Prendre l'habitude de fermer la porte de ma chambre lorsque Lunar y dort avec moi, pour éviter que mon chat ne vienne se frotter à lui - il déteste le contact des animaux. Me trouver odieuse la première fois où nous préparons un repas collectif ensemble, sentir que Lunar puise dans sa patience, et nous réconcilier muettement lorsque les gens à table complimentent le plat. Suivre Lunar à des manifs et halluciner devant le nombre de gens qu'il salue. Réclamer à Lunar qu'il écrive plus régulièrement sur son blog et réciproquement. Courir en catastrophe chercher des capotes dans tous les coins de mon appart parce que Lunar et moi sommes arrivéEs à court. Passer de longues heures à enchaîner les questions auxquelles il répond en trois mots maximum, m'obstinant pour comprendre quel projet l'absorbe en ce moment. Être toujours sidérée par la capacité de Lunar à dire des choses impliquantes au moment où je m'y attends le moins, comme ce "en fait je crois que j'aimerais bien habiter avec toi" sur irc. Partir avec Lunar, une collation dans un sac, pour grignoter dans les improbables coins de verdure de la capitale. Lunar m'appellant pour me proposer des concerts, plonger dans la musique en sachant qu'il plonge avec moi. Lunar, et moi, et lui dans un lit. Chopper Lunar sur irc à la fin de ma journée de travail, lui proposer un ciné et rechercher parrallèlement les séances en VO des films qui nous plaisent, puis décortiquer ensemble l'intrigue ou la psychologie des personnages, et laisser ces discussions dériver vers des considérations plus personnelles. Marcher dans le métro en tenant la main de Lunar en jupe, marcher dans son école d'informatique en tenant Lunar en jupe par la main, et anticiper les récits édifiants de réactions d'étudiants. L'imperméabilité de Lunar à ma bouderie, qui m'oblige à dépasser cette réaction pour forcer le dialogue. Apprendre sur Lunar comment donner du plaisir anal, trembler de peur en le pénétrant. M'ébahir de la joie de Lunar à couper du bois pour réchauffer les Tanneries hivernales. Lunar sauvant mon premier de l'an en venant faire un dîner en amoureux. Une fois de temps en temps, aller faire des courses pour remplir les placards de Lunar puisque je mange chez lui souvent, et ses grognements de principe parce que je rapporte plein de sucreries chez lui. Les regards échangés avec Lunar, suite auxquels nos vêtements disparaissent en quelques secondes. Le petit déclic que Lunar a donné ce soir-là, pour que je passe ma première nuit avec elle. La capacité qu'a Lunar de ne jamais empiéter sur ce qui m'est indispensable. La sincérité gênée de Lunar m'avouant qu'il a lu mon carnet intime qui trainait dans ma chambre lorsqu'il y a dormi sans moi. Lunar constatant qu'il est possible d'érotiser intensément les parties les plus inattendues du corps, "maintenant ça me fait des frissons quand tu m'embrasses entre les clavicules". Lunar me faisant découvrir Dijon pour la première fois. Les très longues explications de Lunar jusqu'à ce que je comprenne la différence entre logiciel libre et gratuit. Les longues heures passées avec Lunar devant des jeux vidéos antiques, riant ensemble des énigmes saugrenues ou trichant avec la soluce. Ma préparation de deux soirées surprises pour les anniversaires de Lunar, auxquelles il s'attendait immanquablement. Lunar qui me déshabille et me met au lit lorsque je suis trop saoûle ou fatiguée pour le faire. Montrer à Lunar comment repeindre un mur. Aller acheter un pantalon noir avec Lunar avant sa première soirée goth, et rire ensemble en sortant du discours du vendeur. Mes questions sans fin pour comprendre le daltonisme jusqu'à ce que Lunar me montre le site où j'ai vu comme lui. Les premiers mois, Lunar se rasant lorsque j'arrivais s'il ne l'avait pas fait avant. Les cris que pousse Lunar lorsque je lui étale la cire chaude sur les jambes, la fois où il avait décidé d'essayer l'épilation. Nos compromis matinaux, Lunar aimant la radio au réveil et moi la musique. Lunar m'expliquant l'art de la photo. Ma joie amère que Lunar soir pris à son master. Faire des massages à Lunar et vice-versa. Lunar subissant patiemment mon stress lorsque mes règles ne viennent pas pendant plus de trois mois. Recueillir Lunar après des sessions de geekage intensif qui le laissent vidé, prendre soin de lui quelques heures. Me faire disputer par Lunar lorsque je fume des blondes chez lui. Lunar me posant l'injonction d'aller voir un médecin avant de partir vivre en squat, lorsque ma toux devient préoccupante. Cette fois où il me répondit simplement "Tu veux casser quoi ? Si tu veux plus qu'on fasse de sexe ensemble, je m'en fiche - ça va me manquer mais je m'en fiche. Si tu veux plus qu'on se voie pendant un moment, je disparais. Mais si tu veux qu'on se voie plus du tout, alors là tu rêves".
Lunar buvant son thé face à moi, en ce petit matin de notre première nuit passée ensemble, et cet espoir informulé que ce ne soit pas la seule.

Il y eut aussi plein de moments durs bien sûr - ces instants précieux ne voudraient rien dire sans cela. Nous nous sommes fait mal, nous nous sommes reconstruits, remis en cause trop de fois pour les compter. Nous avons traversé des situations douloureuses, avons réfléchi à l'évolution de notre relation, avons tenté de trouver des solutions acceptables à nos problèmes et y sommes arrivés souvent. Notre communication a évolué, nous avons appris à nous connaître et aussi à accorder notre confiance.

Cela fait des mois maintenant que les interractions sont difficiles régulièrement, que plus rien n'est évident. Ce n'est pas la première fois que nous pensons à finir cette relation, évidemment - mais l'idée jusqu'à présent ne pouvait dépasser le stade de la conception intellectuelle, parce que nos tripes se tordaient, nos cerveaux hurlaient à l'unisson que c'était impossible. Je ne sentais pas cette éventualité exister, je n'ai pas vu sa douleur croître jusqu'à ce qu'il me parle comme à une étrangère, exactement lorsque j'étais vulnérable, lorsque j'avais désespérément besoin de lui, jusqu'à ce qu'il me poignarde froidement alors que j'étais déjà complètement détruite. Indifférent à ma douleur parce que charriant la sienne, espérant peut-être consciemment que je le rassure d'un signe, mais venant exactement à ce moment, de cette manière, pouvait-il ignorer que je n'étais pas capable de répondre ?

Je n'arrive pas à comprendre quand, comment exactement, nous avons pu déraper, laisser tout ça nous glisser des mains, oublier que c'était précieux. Maintenant je tente d'en récolter les morceaux pour les ranger délicatement au fond de moi, et je crois que ça va être très long de leur trouver une organisation laissant de la place pour d'autres choses.

"C'est parce qu'on attend rien l'un de l'autre que l'on peut se donner beaucoup". Et, insensiblement, un jour on se retrouve à attendre beaucoup d'une personne, d'une relation, et à ne plus être capable d'y donner grand-chose, ne plus y trouver ce qu'on espère, sentir que l'autre attend trop. Toute tentative devient douloureuse. On se lacère par trop d'amour mal investi.

"I play dead : it stops the hurting"

Méta

Je viens de me rendre comte que mon blog a plus de deux ans maintenant (sous trois formes différentes). Je n'envisageais pas vraiment ce projet dans la durée lorsque je l'ai commencé, mais je n'avais pas prévu non plus tout ce qu'il m'apporterait - et tout les efforts que ça demanderait parfois.

Bon alors tout le monde s'en fout, puisque chacunE dit la même chose, en mieux (je vous ferai pas l'affront d'aller déterrer les archives de mes blogs préférés, je suppose qu'à part ce site vous avez de saines lectures).

Je profite seulement de l'occasion pour signaler que le lien PagesRemarquables à droite est une liste de mes articles que je trouve les plus interessants, et je rappelle que c'est toujours une bonne idée de s'identifier (possibilité d'éditer vos commentaires et de lire les rares articles moins publics). Pis bon le tout nouveau FilRSS, pour celleux à qui ça aurait échappé, est vraiment une avancée technologique incroyable pour sortir de l'âge médiéval du blog (mmm oui j'avoue ça soulage un peu l'urgence pour moi de passer à Dotclear, ouf).

En vrai c'est juste parce que j'ai peur d'écrire cet autre article trop personnel... impression de m'être déjà beaucoup trop exhibée sur ces pages les derniers jours. Mais c'est tellement plus facile d'écrire la douleur que de la montrer, j'ai besoin de cetTE interlocuteurice anonyme à qui j'imagine écrire, et il est temps que j'apprenne à montrer ma faiblesse pour que les gens arrêtent de me croire sourire infatigable, punching-ball increvable.

dimanche 15 mai 2005

Cauchemars à répétition

Ça fait trois nuit de suite que je fais des mauvais rêves, de ceux où j'ouvre les yeux soudain, gelée, le souffle court, et dont il me faut des heures pour penser à autre chose, de ceux dont les images me poursuivent toute la journée.

Il y a trois jours, d'abord je me suis faite piquer par une abeille en entrant dans mon lit - mais la réaction n'est pas aussi allergique que d'habitude - et ensuite j'ai rêvé de Lunar...

Il y a deux jours j'avais un peu peur d'aller me coucher, je me suis dit que je devais dépasser cette peur idiote et j'ai passé la nuit à croiser et fuir Ernest, oh cette image où la foule s'écarte et où je vois ses yeux désemparés, ses lèvres murmurant la douleur...

Hier j'avais vraiment peur d'aller dormir, mais je ne l'ai réalisé qu'à deux heures du matin et je ne pouvais demander à personne de venir réchauffer mon lit pour éviter les cauchemars, alors je me suis débattue jusqu'au jour entre les machoires d'atroces poissons voraces, dans un jardin privé où Romain m'avait fait embaucher.

Ça faisait des années que je n'avais pas eu de séries de rêves aussi atroces. J'aimerais bien pouvoir dormir maintenant, le sommeil est mon refuge favori et si je ne peux plus compter sur lui ça va commencer à être dur...

samedi 14 mai 2005

Progrès inattendu

Suite à un article chez Kozlika, où j'ai laissé un commentaire, Maxime Ritter vient de me créer un fil RSS. Et oui, rien que ça !

Alors je l'ai ajouté à bloglines, pour l'instant ça fait des trucs bizarres et j'ai pas tout compris au mail explicatif où il parle de "scripts CGI" et d'hébergement, et je ressens fortement la dépendance dans laquelle je me suis maintenue ces derniers mois envers mes geeks favoris, m'enfin je vais finir par comprendre.

Une ovation pour Maxime donc, et puisque tu es sur Paris, je t'inviterai volontiers à boire un verre quand j'y repasserai (la liste amazon pour te remercier ça aurait été pas mal mais je suis un dinosaure qui ne paye pas sur internet).

Bon, faire un lien dans la barre de droite maintenant...

Edit : ça fait plus le truc bizarre tout marche parfaitement c'est merveilleux.

jeudi 12 mai 2005

Convalescence

Je suis rentrée depuis une semaine maintenant. Arrivée à 3 h du matin à la gare, plus de bus donc je me suis mise en mode automatique et j'ai marché quarante minutes - mon sac était très lourd mais ce n'était pas mon dos qui faisait le plus mal. J'avais prêté ma clef avant de partir, heureusement il y avait de la lumière à la fenêtre de l'un de mes cohabitantEs. Lorsque j'ai finalement ouvert la porte, mis le pied dans l'entrée, refermé le verrou, le soulagement est venu, intense et violent, saisissant : je n'avais pas prévu, pas anticipé, mais je me retrouvais au nid pour pouvoir me reconstruire (joli texte de Valentin, très touchée, merci).

J'allai me coucher vite, et les quatres jours suivants se partagèrent entre mon lit et mon écran, pour expurger, extraire, exorciser la douleur. Tout le monde fut adorable. Fin, qui me demanda comment j'allais et face à mon "mmmmm" me serra très fort en jurant "shit !". Vegor, avec qui j'eus pour la première fois une discussion personnelle. Dilo, lorsqu'il rentra, qui vint m'apporter une assiette dans la cave pour que je ne me laisse pas dépérir. M. qui m'offrit ses sourires et câlins, mon jeune pirate qui me fit rire et se laissa grignoter. Et surtout Carmie, qui décida de prendre le premier bus du matin pour venir boire un thé avec moi après que je lui ai un peu raconté sur irc. Et Decay, qui vint à son retour me raconter des histoires de gamer, recueillir mes larmes et me prêter ses bras pour la nuit.

Depuis trois jours il fait très beau, je suis passée en mode diurne (!) et je prends le soleil toute la journée devant la maison ou au jardin, lisant, parlant avec les gens. J'ai ressorti mes affaires d'été, je savoure de me promener de nouveau en robe (et d'exhiber mes jambes velues dont je suis fière), j'ai même déjà perdu ma couleur cadavre de l'hiver. J'ai cueilli du lilas pour composer un bouquet ornant le salon, observé une fourmillière avec un jeune curieux, fui une bataille d'eau, rangé le couloir extérieur et causé avec des graffeurs, préparé des pizzas avec et sans gluten mais pleines de fromage de récup, dérouillé mon allemand avec deux visiteuses et évité un film de zombies.

Bref, je suis encore vivante. Étape 1 : ok. J'ai même passé l'étape 2 : "ça fait trop mal à quoi ça sert d'aimer" : je sais (au moins intellectuellement) que c'est beau comme ça malgré tout. Mais je passe encore la moitié de mes journées à me retenir de pleurer, j'accueille encore chaque nuit avec le soulagement du "une de plus". J'attends que ma joie ne soit plus teintée de larmes. J'essaie de me forcer à manger - ça fonctionne pas vraiment. J'observe toutes les jolies filles qui sont à la maison en ce moment mais c'est une appréciation seulement esthétique. Je souris aux gens quand il faut, sans sourire intérieurement. Merde, ça dure combien de temps le mode "je fais semblant de vivre mais j'ai mal dedans" ?! Ça faisait longtemps que j'avais pas ressenti ça, je me rappellais plus.

Mais bon. Y'a Laitue qu'a appellé, il vient me voir ce week-end, et petit frère en retard comme d'habitude arrivera en début de semaine prochaine. J'ai appellé Anneric qui est prête à nous accueillir quelques jours. Et puis merci pour tous les gentils mails - je réponds pas forcément parce que je sais pas quoi dire de plus, mais ça fait du bien.

lundi 9 mai 2005

Train de nuit

Dans le train, je commence à écrire et le contrôleur passe. Je tends mon billet et me replonge dans mes mots. Puis je vois qu'il emmerde plus loin dans le wagon quatre jeunes qui n'ont pas de billets. Lorsqu'il sort son carnet à amendes, je me lève et vais lui demander ce qu'il fait. Je propose de leur payer leurs billets. Il tente de me décourager. J'insiste. Il m'annonce 230 € avec un rictus, certain que je vais renoncer à cette folle entreprise. Je ne bronche pas, et lui dis de faire les billets. Lui et son collègue m'amènent à part dans l'inter-wagon pour me demander si je réalise bien ce que je fais, je lui demande s'il réalise ce que représente une amende pour des gens qui n'ont pas d'argent, ce que représente un procès pour "fraude ordinaire". Il me dit que lui "ne ferait certainement pas ça pour des inconnus, d'ailleurs il n'en aurait pas les moyens". Je lui réponds qu'il en aurait les moyens s'il le choisissait. Il me parle de ses responsabilités de père de famille. Je réponds que lui est individualiste, moi pas.

Je vais m'assoir avec les quatre mecs pendant que le contrôleur fait les billets. Ils me remercient chaleureusement, continuent à faire leurs mélanges d'alcools et à rouler leurs pétards. L'un des trois punks me demande mon adresse pour me rembourser, ils connaissent les Tanneries. Le black sous prods me fait des discours lyriques comme s'il n'avait jamais rencontré personne capable de faire un geste désintéréssé - et c'est peut-être le cas.

Le contrôleur est sidéré lorsque je compose le code de ma carte bleue, je sens que je heurte ses principes capitalistes, productivistes, égoïstes profondéments ancrés. Je serai l'anecdote qu'il racontera à ses collègues pendant les dix ans à venir.

Vive le reality-hacking.

dimanche 8 mai 2005

Soirée contrastée

Mercredi, après deux jours pendant lesquels je m'étais réfugiée chez mon frère, je me dis qu'il faut que je sorte, que je voie des gens, que je pense à autre chose - ou mieux, que j'arrête de penser. Ça tombe bien, ParisCarnet à la Passerelle, un endroit que j'aime et sans doute des gens interessants - je passe un coup de fil à Eve pour la prévenir que je viens (répondeur) et je saute dans le métro.

J'arrive métro St Maur mais ne me rappelle plus l'adresse, il fait froid et je grelotte dans ma chemisette mais je me dépêche - il est déjà tard, certainEs seront déjà partiEs sans doute. Je finis par me rappeller que c'est rue St Hubert et un passant s'arrête pour me prêter son plan. Lorsque j'arrive, je me sens désorientée : je ne reconnais personne, une bouffée d'angoisse m'étouffe à l'idée de faire semblant d'aller bien face à ces inconnuEs. Mais je fais un pas de plus, découvre un boîte de CDs d' Ubuntu et souris intérieurement à Lunar. Alors j'avance et m'aperçois qu'Eve est installée tout au fond, je vais lui dire bonjour ainsi qu'à ses voisins de table.

Après une courte discussion sur l' Althing islandais, je m'empare d'un papier et d'un stylo pour noter les urls et pars à la découverte des autres tables. Laurent me promet une fois de plus qu'il répondra à mon questionnaire, puis je me retrouve assise à une table de pédéblogueurs charmants : Tatou qui s'extasie de me rencontrer et dont les tétons sont sensibles, Batims le superbe rouquin couche-tôt, Cossaw avec qui nous parlons de communautarisme et de transsexualité, orpheus (il a un blog en flash mais il est à croquer), M. le Maudit auquel je parlerai une autre fois et le flatteur TarValanion, finis africae qui nous parle de son logiciel pour avoir la date selon le calendrier révolutionnaire... Ai-je parlé à sok ? En tous cas j'aime beaucoup ses textes. Je me laisse embarquer dans un grande discussion avec Charly bouleversé que je le trouve "ambigü" et interessé par la SF (voir dans Lectures donc). Puis un jeune homme vint s'assoir à notre table, et après les présentations d'usage resta quelques minutes à me dire "Solveig ? LA Solveig ?" - me donnant l'étrange sentiment d'être une créature sortie d'une fable plutôt qu'une humaine (c'est déstabilisant) - d'autant plus qu'il reste ensuite à m'observer en silence. Je réalise que nous avons échangé quelques mails il y a des mois, choppe quelques nouvelles adresses et cours me chercher un martini avant la fermeture du bar puis ma soeur vient me faire un bisou-aurevoir et je migre avec quelques survivants vers un endroit ouvert plus tard - mais le niveau sonore empêche toute conversation, et nous nous séparons à Bastille.

Je repars vers gare du nord (où habite mon frère) avec Thomas dont c'est le chemin, j'ai froid alors lorsque nous passons devant chez Lunar je me décide à aller y chercher un pull. Je ne savais pas, ne pouvais savoir qu'Eve y était, mais dès que je passai la porte elle m'arracha mon sac, le balança et me hurla de me casser, avant d'enchainer en me sortant plein de trucs violents, me laissant muette, estomaquée par cette agression. Je pris quand même mon pull, ramassai mon sac, murmurai de excuses à Lu que j'aurais préféré ne pas mêler à ces histoires, et retrouvai la nuit encore plus froide, mais mon compagnon de marche eut la délicatesse de ne pas me poser de questions.

Lorsque nous arrivâmes à l'embranchement où nos routes devaient se séparer, il me proposa de passer chez lui. J'hésitai, peur d'être seule contre peur de me mettre en danger... mais il était chaleureux sans être pressant, alors je le laissai me préparer un thé puis un autre pendant que nous parlions, me perchai sur sa fenêtre pour fumer mes cigarettes et choisis de la musique, il me prêta un livre et je formai des phrases approximatives avec les mots sur son frigo. Nous regardâmes le soleil se lever avant que je lui dise que j'avais envie de dormir avec lui mais pas de faire de sexe, le T-shirt que je lui empruntai pour dormir était très geek et à mon rire il répondit "question de probabilités". Je m'enveloppai dans sa douceur, mais lorsqu'il fut endormi la crise d'angoisse revint, staccato d'images et de sons violents qui me maintint tendue jusqu'à ce que l'épuisement m'en libère. Sa douceur aussi au matin, sa délicatesse lorsqu'il laisse dormir la marmotte que je suis et ne me réveille qu'à son retour, avec des pains au chocolat et un thé.

Oh non, je ne suis pas amoureuse - mais émue de rencontrer toujours des gens prêts à offrir leur tendresse lorsque j'en ai besoin. Merci.

samedi 7 mai 2005

Interlude

À la base, j'allais sur Paris pour voir Eyal, de passage en France pour quelques jours. Je ne l'avais pas revu depuis deux ans, mais nous gardons contact par mail et épisodiquement, nous partageons de jolis bouts de vie.

Alors nous avons passé une journée ensemble, comme une respiration au milieu de ma noyade affective. Nous avons marché autour de saint michel (lieu de notre rencontre, qu'il a choisi comme rendez-vous), puis pris un petit-déjeuner en terrasse, nous sommes assis dans un parc et avons fait un tour à mon resto libanais préféré de place monge avant d'aller boire un thé chez lui. Et pendant tout ce temps, nous parlions : il avait mille questions au sujet des Tanneries, j'en avais autant au sujet de sa vie, nous avons enchaîné anecdotes et reflexions philosophico-sociologiques. Je réclamai un cours de conjugaison hébreuse, nous avons enchainé sur une comparaison de la féminisation des différentes langues que nous connaissons.

Juste avant de nous coucher, il se rappella qu'il avait quelque chose pour moi : un bracelet de bonbons, ceux de mon enfance... nous en avions parlé une fois, et lui, s'en souvenant, avait pensé à m'en apporter un. J'aime sa faculté à se rappeller les détails anodins pour en faire des attentions délicates.

J'étais heureuse de le revoir, mais je ne pensais pas faire de sexe avec lui : je n'étais pas vraiment d'humeur à bâtifoler ces derniers temps. En fait, nous en avons fait, parce que ce n'était pas dangereux même dans mon état ultra fragile : j'ai vraiment confiance en lui, en son écoute, son départ proche éliminait les risques de complications, et puis il connait très bien mon plaisir. Ce fut à la fois infiniment doux et excessivement violent, ma souffrance se muant en griffures, morsures et empoignades fort libératrices pour moi et jouissives pour lui, et lui a su doser les siennes pour ne pas me brusquer - je lui ai fait remarquer, amusée, que ses caresses étaient d'une pressante patience.

Faut que je me renseigne sur les tarifs pour aller lui rendre visite à Jérusalem un de ces jours...

Affectivogramme plat

Discussion compliquée, ressentis décalés, sentiments désynchronisés. Lunar parle, je réponds de moins en moins, luttant contre la douleur qui m'anesthésie le cerveau, m'étreint la gorge, contre cette nausée qui me retourne le ventre. Puis je renonce, m'allonge près de lui, contre lui, et il m'enlace, désolé de m'avoir fait souffrir, de "ne pas savoir dire les choses autrement qu'en faisant des reproches". Et je pleure, sentant cette libération me soulager bien davantage que toutes ces dernières fois, parce que je suis dans ses bras et qu'il m'a appris à y pleurer - lent apprentissage de cette confiance rare pour moi.

Mes larmes tarrissent, je souffle "je t'aime". Il hésite une seconde - nous n'avons jamais developpé de "moi aussi" automatique, et tant mieux. "Je ne sais plus ce que je ressens pour toi", constate-t-il. Je réponds que je le sais avant que mon cerveau ait analysé ses mots, j'ai mal avec deux secondes de retard de réaliser que des signes imperceptibles m'en ont avertie inconsciemment. Puis je laisse cette douleur me traverser.

Quelques jolis moments le lendemain. Et jeudi soir, fuyant Paris après une semaine émotionnellement destructrice, je passe chez lui pour reprendre mon sac, il me propose de m'accompagner à la gare, nous atterrissons dans un café après une marche silencieuse (mais pas de ce silence complice, non). Il me confirme qu'il a enterré une bonne partie de ce qu'il ressentait pour moi. Ne me dit pas que c'est fini - si j'avais la moindre énergie, un minimum d'enthousiasme à lui communiquer, "nous" pourrait exister encore, mais je suis vide et je comprends que notre relation ne lui apporte plus rien, que lui ne peut m'aider dans ces circonstances. Pour la première fois, c'est lui qui pose des questions sur notre relation, qui ouvre un dialogue - mais il le fait à un moment où je suis incapable d'articuler une phrase entière. Je lui demande de partir parce que je hais ce contexte, les gens me regardant pleurer dans le bar, parce que que j'ai atteint ce point de désespoir où je préfère couler seule. Résolution, lucidité de ce stade où plus rien n'a de sens. Je cache mes larmes derrière mes mains le temps qu'il parte, puis j'harnache mon sac et vais à la gare.

Il y a un train, presque trois heures plus tard. Je m'affale sur un banc et pleure encore, incapable de trouver une raison de ne pas me jeter sous une voie. Je pleure, pleure, dans cette foule anonyme comme si j'étais seule, et soudain un vieux kabyle s'assoit près de moi, me dit que ça le touche, me prie d'arrêter de pleurer. Il propose d'aller me chercher un café, je sèche mes larmes mais la boulangerie n'en sert plus alors nous finissons par aller dans un bar où il me raconte son arrivée en France, ses amours et quelques énigmes jusqu'à me rendre un sourire pâle mais sincère. Cet homme adorable me parle de la vie, d'amour, sans clichés, sincèrement. Puis il m'accompagne jusqu'au train, me fait la bise et me souhaite bon courage. Je vais en avoir besoin, mais il m'a déjà rendu l'essentiel : cette certitude nécessaire que les interractions humaines, malgré la douleur, sont merveilleuses.

Alors je suis morte, mais je vais revivre un jour. En attendant je fais semblant.

Douloureusement absurde

J'aurais dû être plus explicite dans l'énoncé de mes limites, j'aurais dû savoir dire stop lorsque je les ai senties dépassées - mais j'étais convaincue qu'illes en étaient conscientEs et les prenaient en compte, que mon mal-être était incongru et à éliminer. Illes auraient dû se poser les questions avant, sans doute, mais mon silence ne leur permettait pas de percevoir le problème - et puis les sentiments, c'est éthéré, et illes n'ont vraiment réalisé leur existence que lorsque j'ai signalé que cela me posait problème.

Eve et Ernest ont commencé à tomber amoureureuse. Et là, j'ai dépassé plein de tabous moraux, mais celui-là me dépasse - je me sens / sais incapable de gérer cette situation, d'avoir une relation avec quelqu'un qui en a aussi une avec ma soeur. Quand j'ai finalement soulevé le problème, illes ont été surprisE et désoléE de m'avoir fait mal, ont décidé d'y renoncer. Mais lorsque je suis revenue de Lausanne, illes avaient réalisé que les sentiments ne disparaissent pas forcément lorsqu'on le décide. Alors après trois jours à contenir ma souffrance, j'ai dit à Ernest que c'était fini. Mais lui ne se sentait pas capable de vivre l'une de ces relations en sachant qu'elle lui avait "coûté" l'autre, et donc il a fini avec Eve - qui m'en veut, mais ceci est une autre histoire.

Huit mois. Du temps, de l'énergie pour construire une relation enrichissante. Des moments magiques, une tendresse étourdissante, une complicité souriante, une sexualité foisonnante, des échanges passionnants. Des moments durs aussi, que nous avions su dépasser à force de dialogue et de travail sur nous. Des projets communs, des pistes que nous voulions suivre ensemble.

Ça faisait très longtemps que je ne m'étais pas investie vraiment dans une relation, longtemps que je n'avais pas osé me dévoiler à quelqu'un au maximum. Longtemps que je ne m'étais pas sentie aussi amoureuse, tout simplement... alors devoir faire une croix sur tout ça, c'était dur. Surtout que je savais que ça allait le faire souffrir aussi. Je n'avais pas réalisé que ça détruirait leur relation avec Eve, et j'en étais vraiment désolée - mais rester dans cette situation douloureuse m'était impossible.

Carnage émotionnel, épisode 1.

Squats de luxe

Mon frère est venu pour la première fois chez moi mi avril, on avait organisé une boum (y'avait plein de gens que j'aime à ce moment-là, bonne occasion de faire la fête). Il a eu un peu de mal à s'habituer à la maison mais après quelques jours (qu'il a passés à jouer sur les ordis), il a commencé à en comprendre le rythme et le fonctionnement. C'était d'autant plus difficile pour lui que, contrairement à ce que j'avais prévu, je ne pouvais être très disponible(chamboullements affectifs, voir post suivant).

Il voulait voyager. J'ai appris que la réunion du non-réseau Sans-Titre aurait lieu à Lausanne, aucun de nous deux n'était jamais allé en Suisse - donc nous voilà partiEs. Il n'avait jamais fait de stop, nous inaugurons ça dans les règles : départ au petit matin après une nuit blanche.

Alors notre première conclusion : les suisses ne prennent pas volontiers en stop, surtout près de la frontière. Pis sinon, la Suisse c'est comme la France mais en plus suisse, quand même. Nous avons tout d'abord eu du mal à trouver une banque (!), parce que les distributeurs ne sont pas dans la rue. Puis ébahissement devant les prix, encore plus élevés qu'à Paris. Excursion de Romain dans un magasins d'alcool pour se prendre une bière, je reste avec les sacs et m'étonne de voir des militaires rentrant de leur service avec leur fusil. Puis Romain, dont la fatigue l'incite à aller directement au squat devant nous héberger, cède à mon envie de voir le lac Léman : eau, montagne, ciel. Lac qui s'étend jusqu'au pied des montagnes. Cygnes s'y prélassant, carroussel au bord de l'eau, passants en promenade : nous restons un moment au soleil de l'après-midi de cette journée printanière, savourant notre double décalage du manque de soleil et du dépaysement.

Puis Lausanne. Ville en pente, puisque s'écoulant de la montagne vers le lac. Remplie d'escaliers et de passerelles, dont le nerf central est un tramway-funiculaire. Ville étendue et aérée, toits colorés, multilinguisme amusant et passantEs tout disposéEs à nous montrer le chemin - contrairement aux parisienNEs, les gens s'arrêtent dès que nous voulons leur parler, et ont le temps de commencer une discussion par "bonjour".

Autre révélation lorsque nous arrivons à Chien Rouge, notre logement : les squats non plus n'ont pas le même niveau de vie qu'en France. Le bâtiment est superbe, en très bon état, le circuit électrique est celui d'origine (illes ont pas eu à en refaire, ce qui me semble un luxe incroyable), le chauffage central fonctionne encore en avril. Et la maison, étrange mélange d'artistes, de mystiques et de militants, est assez surprenante. Les gens sont adorablee -je serais tombée amoureuse plusieurs fois si je ne m'étais sentie si fragile. Terrasse où lire au soleil. Salle de théâtre au voluptueux rideau de velours rouge. Récups de gâteaux onctueux, récups de centaines de fleurs dont je confectionne plein de bouquets. Film sur la guerre d'Espagne, documentaires sur Seattle et les 10 ans de l' Espace Autogéré de Lausanne. Distribution de la brochure SelFrissons à des gens intérésséEs. Recevoir deux pierres de magnétite et un gentil mot.

Séjour qui se prolonge quelques jours de plus que prévu, et loose mémorable pour repartir : nous passons pas Genève et finalement partons en train jusqu'à Paris après trois heures d'attente infructueuse. Mais j'y retournerai, et j'espère qu'illes viendront.

mardi 3 mai 2005

Champ de ruines

La cendre volète au gré de rares tourbillons violents ou brises suffocantes. Tout est détruit, enfoui, et les décombres ne peuvent servir d'abri. Pas la force de les remuer encore, rien ne peut plus y servir à la vie. Terre ravagée, irradiée, vitrifiée par endroits. Pas d'eau en vue, disparue sous les gravats ou évaporée par les flammes qui s'emparèrent de tout. J'avance dans un paysage infiniment gris. Nul repère que de vagues monticules plus élevés que les autres ; le vent les déplacera à la prochaine tempête. Le ciel est un dôme de fumée, chape de plomb qui ne laisse même pas d'ombres, et mes pas soulèvent de petits nuages, laissent de profondes empreintes dans ce sol meuble. Rarement, mon pied trébuche sur un obstacle que je ne prends plus la peine d'identifier, me contentant de reprendre mon équilibre pour continuer d'avancer, malgré mon doute devenu certitude qu'il n'y a rien d'autre derrière la ligne d'horizon - mais je ne peux rester sur place, puisque je suis vivante j'avance. Odeur de fumée et de chair brûlée, goût de sang dans ma bouche et mes dents qui grincent sur la poussière. Les seuls bruits à entendre sont de toutes façons les miens, étouffés par ce monde sans échos mais malgré tout dérangeants dans le calme absolu.

Je croise des traces. Il me faut quelques secondes pour le réaliser, pour arrêter ma marche afin de les observer. Puis une immense envie de pleurer, de rire me prend.

Et je repars à angle droit avec celles-ci puisque, bien sûr, les seules traces ici sont les miennes.

Présentation

J'ai commencé à ouvrir les pages de mon carnet intime lors de mon passage à la non-exclusivité amoureuse, parce que j'avais besoin de poser des mots sur ce que je vivais et de le partager. J'aime garder ici des traces de moi, parce que je suis souvent surprise de retrouver longtemps après quelles furent mes pensées et émotions à un moment donné... ma démarche ignore toute pudeur, soyez prévenu.e.s. Ainsi donc, voici mes amours, ma vie en squat, et quelques réflexions politiques.