mercredi 20 juillet 2005
À quatre heures exactement
Et hop, l'un des nombreux textes que j'ai écrits sur Limbes, vu que celui-ci est un vrai bout de ma vie (il y a presque un an) :
Nous nous étions donné rendez-vous à quatre heures du matin, sur le perron de la maison. Envie de nous échapper pendant un moment de ce lieu grouillant de vie, débordant d'activité ; et aussi désir d'être seuls ensemble, rien que nous deux. Son idée m'avait immédiatement séduite : un pique-nique nocturne, où chacun amènerait quelques gourmandises que nous dégusterions ensemble... j'avais ajouté des conditions : que nous soyons en grande tenue, et qu'il apporte un ruban pour que je lui bande les yeux afin qu'il ne sache pas où je l'emmenerais. Il avait acquiescé, enthousiaste : une rencontre amoureuse, pour ne pas sombrer dans le cliché, se doit d'être un jeu réinventé.
Pendant toute la journée, nous nous somme sentis conspirateurs. Nous n'avons pas parlé ensemble, étant très occupés à d'autres activités - mais les regards complices que nous nous jetions me le confirmaient : nous partagions déjà ce plaisir de l'anticipation, ce frisson de l'excitation montante. Il alla discrètement dans le jardin (je fis semblant de ne pas l'avoir remarqué), puis mit dans le réfrigirateur un plat couvert sur lequel trônait le mot secret. Je regroupai les éléments de mon costume, empruntai quelques accessoires. Au dernier moment, j'emplis un panier de quelques sucreries : un yaourt au citron, des fruits épluchés, du chocolat aux noisettes et, bien sûr, une grande bouteille de thé. Puis j'allai enfiler ma grande jupe rouge de bohémienne, ajustai mon bustier échancré, colorai même un peu mes lèvres. Je fus - évènement inouï - ponctuelle, et lui aussi : à l'heure dite, il me rejoignit, et après un regard admiratif réciproque, je nouai le bandeau devant ses yeux.
Je le guidai en prenant grand soin de lui faire perdre ses repères, mais lui signalant les marches ou rebords de trottoir. Nous nous racontions cette journée, et je l'amusais en décrivant les mines étonnées des rares passants qui nous croisaient. Puis je trouvais l'endroit : un champ un peu sauvage, échappé au béton. Je le fis assoir et sortis mes surprises que je glissai dans sa bouche - ses sensations gustatives décuplées par sa cécité provisoire. Puis je lui rendis la vue, et après qu'il se soit ébahi du lieu, ce fut son tour de me dévoiler sa surprise : des tomates du jardin, juteuses et parfumées, coupées en fines tranches et assaisonnées de différentes façons, que nous dégustâmes jusqu'à la dernière.
Puis nous sommes restés à discuter, buvant du thé pour nous réchauffer et profiter plus longtemps de cette fraîche nuit d'automne, savourant la bulle magique que nous avions fait naître. À un moment, un train jaillit et traversa l'horizon face à nous, fulgurant serpent bardé de lumières, citadine poésie qui nous enchanta.
Nous ne rentrâmes pas trop tard, pressés de nous serrer l'un contre l'autre dans un lit.
Ce billet, écrit à 09:56 par Solveig dans la catégorie General a suscité :